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Quelques textes...

Chacun de ces textes a été motivé par une consigne, une contrainte ou une thématique. Je préfère les taire ici et ne garder que l'essentiel, offert par les mots.

Les textes les plus récents se trouvent en fin de page...

Texte de Marie-Anne

Libin - 2019

Le temps de vivre, disais-tu.


Tu avais raison, j'adorais les plages. C'est là que je le retrouvais, ce temps qui s'étire et qui s'allonge jusqu'à l'horizon.


La plage comme un hamac où l'on a le droit de ne rien faire, même de ne pas lire ou si peu, du bout des yeux.


La plage où le bruit des vagues berce, engourdit, où les voix rebondissent en écho lointain, de plus en plus lointain.


La plage où je peux être seule sans l'être. Sans l'être aimé, avec l'être rêvé. Avec toi, sans toi.


Que de temps avons-nous perdu à gesticuler en vain, que de mots éparpillés pour rien.

Texte de Valou

Vesseaux - 2019

 

Je vais à la gare et sur le quai se trouve un train dans lequel dort paisiblement un homme. Sur cet homme, il y a une poche… rien dedans d’ailleurs… mais dessous il y a une chemise à laquelle elle est accrochée. Et sous cette chemise ah ah et sous cette chemise… il y a un cœur battant. Il bat très fort pour Ella. Et dans ce corps, sous cette peau, il y a un cœur et une tête. De la tête au cœur comme une balle, Ella se promène de haut en bas et de bas en haut car il l’a dans la peau.

 

Mais Ella n’est pas dedans ni dessous, elle est là-bas à Paris. Elle porte des dessous et des bas, parfois de bas en haut, d’autres fois de haut en bas avec lui quand il est là. Pour le moment, lui est dans le train et Ella à Paris place de la Concorde. Elle s’est installée dans un hôtel à sa place pas à l’autel de l’hôtel non dans sa chambre d’hôte à elle. Où est-elle cette chambre ? Ah oui sur la place, là tout concorde, c’est l’hôtel de Crillon.

 

Prestigieux l’hôtel de Crillon. Elle le crie, elle l’appelle lui mais revenons à nos moutons. Ella est dans sa chambre avec ses dessous et notamment ses bas. Et sous ses bas, il y a aussi des hauts et des hauts le cœur car elle est triste. Car dans son cœur, il y a lui. Lui, un homme, cet homme qui est dans le train, le train qui est sur le quai là-bas et qui attend le coup de sifflet pour partir. Partir vers elle, vers Paris, vers la place, vers l’hôtel, à l’autel de ses bas, de ses dessous de leur haut et de leur bas à l’unisson de leur cœur sous leur chemise dans leur tête, dans leur être, ensemble réunis, quand le train sera parti.

Texte de Claire

Saint-Privat  2019

 

Surgi de l’immensité,

il déboule des sommets et débaroule des montagnes,

il envahit les plaines, se répand dans les vallées,

il inonde les rizières, court le long des rivières.

 

Jailli de l’océan,

il explose en geysers, éclate en éruptions, déferle en torrents,

il s’immisce dans la moindre faille, grotte, crevasse.

 

Né du plus profond de mon être,

il tonne,

il résonne,

il m’envole,

il me bouleverse.

 

Le cri

L I B E R T É

Texte d'Estelle

Vesseaux - 2019

 

Dans Aubenas, il y a « aube », comme le début du jour, comme l’été, comme le soleil qui fend le ciel derrière les montagnes, comme toutes ces couleurs pareilles aux murs des bâtisses qui tremblent quand le vent pénètre par ses ruelles.

 

Mais dans Aubenas, il y a aussi « Na ». « Na » comme Nabil, comme Nadine, comme Nathalie, comme Nathan, comme tous ces noms que j’aurais pu te donner si tu étais né.

 

Dans Aubenas, il y aussi ces magasins vides, ces arcades mortes, ces hôtels fermés, ces appartements à louer, ces maisons à vendre, ces milliers d’euros à dépenser dans une maison avec piscine pour une famille que je n’ai pas.

 

Dans Aubenas, il y a tous mes rêves dissous, mes amours déchus, toutes ces lettres mortes, comme ces mots écrits sur les murs : « Courage, soyez sauvage ». Sauvage, oui je le suis, un peu, beaucoup, à la folie…

 

Dans Aubenas, je m’égare, je m’installe. Je constate les contrastes. Un « A » pour anarchie et les milliers de panneaux routiers et leurs interdictions. Même les panneaux se permettent d’interdire à Aubenas.

 

Dans Aubenas, je me sens seule et dans Aubenas, je me sens vide. J’aurais pu faire toute cette promenade en te portant dans mon ventre. Peut-être aurais-je senti d’autres odeurs ?

 

Dans Aubenas, il y a une forme de renoncement. Renoncement à être ce qu’elle n’est plus, renoncement à être ce qu’elle doit devenir. Dans Aubenas, il y a le bar de la Renaissance.

 

Aubenas, trouveras-tu ta voie ?

 

Sur un de tes panneaux « Si tu prends ma place, prends mon handicap ». J’aimerais pouvoir écrire « Si tu prends ma place, prends mon vide ».

 

Dans Aubenas, il y a un distributeur de préservatifs juste à côté d’un distributeur à billet, est-ce un message pas si caché ? En tout cas, dans Aubenas, il est écrit sur un mur « Faites l’amour et pas les magasins ».

 

Dans Aubenas, il y a aussi la place de l’Hôtel de ville et son château. En face, une photo de 2 enfants mangeant la même glace, se regardant d’un air complice. Nabil, Nadine, est-ce vous ? Je vous entends rire.

 

Aubenas, je reviendrai te voir, pleine de vie, pleine de rêves et peut-être que ce jour là tes rues me sembleront moins étroites et que tes contrastes deviendront constats.

Pour le moment, je t’observe Aubenas, on ne peut pas dire que tu me plaises Aubenas, je te sens vide Aubenas, si vide…

Texte de Marianne

Saint-Privat- 2019

 

Né quelque part

 

Ma naissance en ce lieu était hautement improbable. Venir au monde dans de telles conditions et dans un endroit a priori aussi peu accueillant n’était pas un pari gagné d’avance, et moins encore le fait de survivre et de grandir en pleine santé et même, à ce qu’on dit - en beauté et en grâce. Beaucoup d’autres, nés dans des conditions autrement plus favorables, ont pourtant eu un destin moins envieux que le mien. Dans mon malheur, j’ai donc eu beaucoup de chance et je rends grâce à la vie qui m’a accordé quelques atouts pour tenir le coup. J’ai toujours eu une volonté de fer et une rage de vivre qui m’ont évité de flancher et grâce auxquels j’ai pu m’accrocher quand les vents étaient contraires, et c’est comme ça je m’en suis sorti. Et plutôt bien sorti… Bon, ça ne m’est pas tombé tout cuit du ciel, j’ai dû déployer des trésors d’ingéniosité pour y parvenir, pour trouver ma subsistance dans ce monde au cœur de pierre. Donc, non seulement j’ai survécu mais j’ai eu un destin assez peu commun pour quelqu’un de ma condition, car figurez-vous que j’ai connu une certaine célébrité. Oh, certes, ma notoriété n’atteignait pas les frontières de l’hexagone, mais dans ma ville de province et un peu au-delà, j’ai connu mon heure de gloire. Quand je suis né, j’étais si discret, timide et peu visible que je passais inaperçu aux yeux de tous. Seul, le vieux Thomas, qui vivait dans son appartement juste en-dessus de moi, m’encourageait ; il croyait en moi, lui. Son regard bleu tendre, plein d’attention bienveillante et de sollicitude m’a aidé. Le chat de Thérèse aussi m’a soutenu quand j’étais jeune et chétif ; j’aimais ses visites quotidiennes, il se couchait vers moi et ses ronronnements me rassuraient. Les années ont passé, j’ai donc grandi et puis un jour j’ai remarqué que quelqu’un me prenait en photo. C’est arrivé une fois, puis une autre et une autre encore. De plus en plus souvent. Les touristes qui visitaient la ville en déambulant dans ses ruelles escarpées passaient inévitablement dans la rue Delichères, la plus ancienne avec ses pavés irréguliers, et c’est comme ça que, parfois, ceux qui n’avaient pas les yeux dans leurs poches et qui levaient le nez finissaient pas me remarquer, dans mon fief, une petite rue perpendiculaire à la rue Delichère. Donc, au fur et à mesure que je grandissais et devenais plus visible, j’avais de plus en plus de visites, des badauds qui me regardaient avec curiosité et intérêt, étonnés de me voir dans ce lieu incongru et admirant mon audace, et c’est ainsi que le bruit s’est répandu dans la ville et que ma réputation d’original s’est construite peu à peu. J’ai même eu droit à la visite d’un journaliste ! Eh oui, j’ai eu ma photo dans le canard régional ! Je dois vous avouer que ma réputation est due uniquement à mon lieu de vie dont je n’ai pas bougé depuis ma naissance : je suis jour et nuit sur un pont de pierre qui relie les deux côtés de la rue étroite. Pour quelqu’un de mon espèce, c’est très rare, croyez-moi, et c’est considéré à juste titre comme un exploit. Mais au fait, j’y pense, je ne me suis pas présenté : je suis le figuier de la Rue des Arceaux, le seul arbre de la ville ayant pris racine et prospéré à plus deux mètre de hauteur, sur un arceau justement. Avouez que pour quelqu’un de basse condition, c’est plutôt pas mal !

Texte de Clarisse

Vesseaux - 2019

 

23h01 et 52 secondes. Les murs violets muent en un ton noir exécrable, l’herbe verdoyante grise sous les rayons lunaires et les rues longilignes semblent être des circuits maussades, où nulle voiture ne roule. Au sein de ce village rendu amer par la nuit qui l’englobe et le déforme, il y a ces chats, noirs, crépus, qui avancent, longuement, longtemps, profusément. De leur agilité ils grimpent les murets, plantent leurs griffes dans les troncs, glissent leurs yeux derrière les carreaux des fenêtres lorsque les humains dorment. Mêlés au son de la nuit, de leurs pattes de velours, ils veillent. La nuit, lorsque tout le monde est endormi, que dans les chambres désuètes aux moulures en forme de roses, aux rideaux lourds et épais qui étouffent la lumière du jour et aux coiffeuses bondées de parfums, eux se disent qu’ils sont les maîtres du monde. A peine entend-on le ronronnement du frigo dans la cuisine. Le seul cliquetis de leurs griffes rongeant le parquet sonne et fait écho tel un carillon. Ils jouent avec les pendules, chronométrant presque la nuit. Ils sortent dans la pénombre, passent le muret furtivement, ils slaloment puis chavirent dans la chambre d’un enfant qui dort. Ils regardent ses pieds qui gigotent sous la couette, la tentation est trop forte, ils font demi-tour.

Leurs ombres si larges sur les murs épongeant la noirceur, ils se sentent, ils prennent conscience de leur immensité dans la nuit qui les englobe. Ils ne sont plus objets, ni compagnons, ils sont sujets de la nuit, ils sont sujets à la nuit.

Moi le soir, il m’arrive de les voir. Lorsque mon cœur dans la balance est plus volumineux que le poids qui s’abat sur mes paupières, que les contes ne suffisent plus à bercer la réalité, que mes mains d’enfant deviennent si minuscules dans ce monde qui tourne, qui tourne, et qui tombe, je regarde les chats. Les chats qui se mentent la nuit espérant être plus fort que l’homme sournois, et moi je mens au monde la nuit dans l’espoir de le porter sur mon dos, mais ce soir les apparences ne trompent plus, je n’ai plus ce voile étoilé qui couvre mes yeux gorgés de contes de fées. Ce soir le noir est translucide. Ce soir il dessine la réalité. Ce soir il ne parvient pas à me berner. Peut-être trouverais-je alors cette chose, ce petit rien, ce petit quelque chose, ce trou, ce néant, où me blottir. Cet instant où je saurai me dire, cet instant qui saura me conter, que peu importe la réalité, que peu m’importe la vérité, il m’importe bien peu d’être aidé, tout sera comme je l’ai tant rêvé, là, au creux de mes pensées.

Le chat noir a disparu, je regarde cette mouche qui n’atteindra jamais la lune, je regarde mes doigts qui ne porteront jamais le monde, mes parents dorment, demain je rentre en CM2 mais je sais au fond de moi que l’école n’est qu’un prétexte pour contrer la vérité. Que ce n’est qu’un avion dans lequel je ne suis pas même l’ultime passager et que la terre aura explosé avant même que l’on ne soit arrivés. Mais on m’a dit que je n’avais pas à m’en faire, et j’ignore si cela veut dire qu’ils n’en ont rien à faire ou que je ne peux rien faire.

La nuit s’envole, je dors. L’air du matin dégouline sur ma joue, je me leurre. Aujourd’hui le soleil brille plus que les cernes sur ma peau, il grossit, il grossit, je copie sur mon camarade, seul mon vingt sur vingt l’emportera au paradis.

Texte de Voïa

Vesseaux- 2019

 

La montagne ardéchoise m’accapare, j’en découvre la richesse, la variété de ses paysages. Là je m’arrête un moment, je fais la pause pour mieux la goûter, la sentir. Cette petite clairière m’accueille pour une halte où je mets mes sens en éveil. Un muret de vielles pierres me sert de banc, je m’y allonge. Le soleil a chauffé la pierre, elle est rugueuse dans ses aspérités et douce aussi de la vielle mousse qui la recouvre en partie. Je tends la main vers ce bouquet de bruyère posé le long du mur , je laisse glisser ses petites branches entre mes mains, et la encore sensations de rugosité puis de douceur quand, lentement, je laisse filer entre mes doigts les brins de bruyère. Puis c’est une petite branche de chêne que j’attrape par terre, pleine de feuilles mortes que j’amasse dans mes mains, j’en fais un petit paquet que j’écrase, cela craque sous mes doigts puis s’effrite de plus en plus en poussière que je jette au loin.

 

Je sens le mur sous mon dos, j’aime cette dureté, elle m’ancre dans le sol, elle fait exister mon corps. Cette halte m’emplit d’un sentiment de plénitude. Mon corps est là, bien présent à la terre et la terre bien présente à moi. Nous faisons corps comme dans l’amour où tout se confond, se noie en pleine intensité.

 

C’est l’heure chaude, la lumière est vive, presque trop crue pour mes yeux que je referme. C’est le doux murmure du vent dans les arbres qui m’accompagne alors, dominé par le chant vif des Cigales. Au loin le bruit d’un avion qui passe haut dans le ciel me rappelle que la terre est habitée...

Texte de Gilles

Vesseaux  2019

 

Un abécédaire de Zorro – éducation héroïque du petit garçon vers l’homme

A, comme don Alejandro de la Vega

Le père, gentilhomme élégant et gris de poils, du héros.

Mon père aussi avait ses élégances, celles de nous aimer et d’avoir consacré une si grande part de sa vie aux nôtres.

 

 

B, comme Bernardo

Le serviteur muet, officiellement sourd et simplet mais pas vraiment, du héros. Il est l’espion insoupçonnable et l’écuyer fiable qui rend efficaces les interventions planifiées de Zorro.

Le personnage de l’acolyte m’a appris que la figure héroïque est un travail d’équipe et que l’on peut briller dans son ombre.

 

 

C, comme « un Cavalier qui surgit du fonds de la nuit »

Cette apparition à l’horizon, dramatique, effroyable, annonce le fracassement d’un monde d’oppression : la victoire éclatante de la justice.

Mon frère et moi faisions chambre commune. Il était brutal à mon égard, réagissant ainsi à un espace domestique et filiale qui lui était trop étroit. J’attendis longtemps que Zorro surgisse à mon secours, jusqu’au jour où je compris qu’il n’est d’autre libérateur que soi-même. Zorro, c’était moi.

 

 

D, comme « D’un signe qui veut Dire Zorro »

La signature du justicier, marque d’infamie dont la rédemption est si accessible, est comme le marteau du prononcé d’une sentence. Zorro ne tue que rarement : les plus vils, subjugués, ont droit à sa miséricorde.

J’appris qu’il fallait être fort comme Zorro pour rester droit et pardonner.

 

 

E, comme les Éclaires qui scandent la gloire du héros

Force de lumière et dieu des ténèbres, Zorro chevauche la tempête (sa majestueuse monture « Tornado ») et transgresse la nuit par l’invocation de la foudre. Il est la force et la fulgurance, matérialisée par son épée invincible.

Enfant, je compris que l’habileté, la détermination et le rire face au danger étaient les traits de l’homme que je souhaitais devenir. Plus tard, comme beaucoup de garçons, j’oubliai cette promesse enfantine d’une gloire sans vanité.

 

 

F, comme « … qui Fait sa loi »

Zorro a une connaissance immédiate du bien et du mal.

Son intuition était partagée par tous les téléspectateurs car chaque personnage avait un thème musical qui lui était propre. La fourberie, la violence gratuite, le vice étaient campés par des personnages mis en scènes de façon explicite. Parfois ces malfaisants portaient l’habit et la parole de l’autorité officielle. Zorro quant à lui, placarde ses propres édits en les propulsant d’un poignard, en défi et menace implacable.

Zorro m’a appris que l’on peut confronter le mal quand notre cœur nous dit que la loi n’est pas le bien.

 

 

G, comme le sergent Garcia

Personnage secondaire, indispensable antithèse et iconique faire-valoir. Militaire honnête, naïf, maladroit, souvent faible de rondeurs mais brave de moustache, zélote des conventions mais gentil et rieur comme un clown… que Zorro nargue et évite toujours de blesser, lui et ses lanciers.

… Il incarne l’homme commun pétri de pur conformisme, enkysté dans des impuissances instinctives et sociales qui l’incorporent et le possèdent.

J’appris de mon cher sergent qu’à suivre les chemins tout tracés on n’était qu’un sergent, pas le maître de son destin.

 

 

H, comme l’Horizon…

… au loin duquel le héros échappe à ses poursuivants.

Il existe toujours une solution. Souvent elle se trouve dans la distanciation par rapport au problème, l’imagination d’une limite qu’il ne tient qu’à nous de percevoir et d’atteindre, quand d’autres ne le peuvent.

 

 

I, comme Idylle

Diego de La Vega n’a pas l’occasion de s’investir dans une relation amoureuse. Courtois et respectueux envers les femmes, il ne s’en attribue aucun droit sur celles-ci. L’amour est pour le héros un poids dont il ne peut s’encombrer. Sa solitude affective est compensée par l’accomplissement de sa mission salvatrice. Plus tard, au terme de celle-ci, il sera devenu l’homme qu’il devait être et pourra aller vers la femme.

Petit garçon, je trouvais naturelle l’absence du féminin au jeu de l’aventure. Adolescent, puis jeune adulte, je me souvins de Zorro : qu’il n’est d’homme véritable qui ne soit forgé par la passion d’une quête, la patience virile et la confiance dans l’avenir. N’est pas Zorro qui veut.

 

 

J, comme… Justice ?

<Ici s’achève cet abécédaire. Mais un jour, Zorro reviendra. >

 

Texte de Maryse

Saint-Privat 2019

 

Gabriel est un frimeur compulsif. Il a ça dans son ADN comme le ski d’ailleurs qu’il pratique depuis l’âge de trois ans. Il aime qu’on le remarque, surtout les femmes. En haut des pistes généralement il prend son temps pour serrer ses gants, ajuster son masque et vérifier que ses skis sont bien fartés. Puis lentement afin de ménager ses effets il s’élance en faisant voler une gerbe de neige et déclenche un premier virage dans le plus pur style « école de ski Français ». Pas de bol aujourd’hui les pistes sont verglacées : de vrais miroirs. Une prise de carre un peu trop appuyée couche notre Gabriel sur le côté. Aussitôt il est projeté tête la première dans la descente perdant au passage ses deux bâtons qui vont ricocher contre un pylône : Ding Dong et ses beaux skis à 2000 balles. Le premier atterrit dans un plat à fondue sur la table d’un restaurant d’altitude. Splashhh !! Le caquelon est renversé et une des convives brûlée au moins au second degré. Le ski gauche quant à lui a sans doute déjà rejoint le centre du village non sans avoir striké au passage quelques touristes Russes Norvégiens et Japonais.

Gabriel prend de la vitesse, sa combinaison moulante en goretex rouge lance des étincelles et crisse sur la neige comme un camion sans frein. Le paysage défile à toute allure. Lui qui s’est inscrit à une compétition de kilomètre lancé pour le mois de mars a soudain un aperçu ad mortem de ce que ça peut être et regrette un peu les deux cents euros de l’inscription.

Gabriel essaye désespérément de se freiner avec les mains mais tout ce qu’il réussit à faire c’est bousiller ses gants tout neufs, s’arracher les ongles et se cramer les doigts. Tout son corps lui fait penser à une saucisse sur un barbecue alors qu’il fait – 15.Les multiples rebonds lors de sa course folle ont eu raison de son corps d’Apollon. Il ponctue ses vains efforts de « oh putain, oh putain merde ! » qu’il hurle de plus en plus fort. Soudain à la vitesse du son il s’envole après avoir heurté un arbre.

HAAAAAAAAAAAA !résonnent tous les échos alentour. Il vient de sauter une barre rocheuse.

( deux fins possibles )

La fatale : Pas sûr qu’il soit nécessaire d ‘appeler l’hélicoptère de la sécurité civile.

La rigolote : Plouf ! Notre Gabriel trône 400 mètres plus bas sur le tas de fumier de Justin , pour seules admiratrices quelques poules ébaubies

Texte de Catherine

Saint-Privat- 2019

 

Loin de Toi, proche du Coeur, j'attends, je guette le moindre Signe du Vent, le moindre Signe des Arbres, un Regard qui me rappelle Toi.

Je m'envole, je voudrais tant une connexion Céleste,

Sentir ce lien indéfectible

Comme une vague d'Amour qui m'emporte très haut,

Si haut dans cet endroit Magique où nos Ames se sont connues,

Où nos Ames se sont aimées

Et mon Coeur enfermé dans ce carcan que je voudrais exploser

Pour te rejoindre et te dire et te donner

L'Amour que mon Ame a reconnu et qui ne s'éteindra jamais.

Texte d'Evelyne

Vesseaux - 2019

 

Si j’étais toi, je verrais une envolée de papillons, d’hibiscus, de colibris dans une harmonie délicieuse, délicate et victorieuse.

Si j’étais toi, je verrais des gangsters en cavale, picolant, picorant au tout venant pour s’alanguir épuisés de tant …

Si j’étais toi, je verrais des bulles de bandes dessinées en une débordante frénésie endiablée.

Si j’étais toi, je verrais mes amis, mon mari, mon passé embarqués pour des futurs à inventer.

 

Si j’étais toi, je verrais du jaune, du noir, de l’espoir, du désespoir, valse hésitation.

Si j’étais toi, je verrais tout carré, symétrique, bichromatique et quelques arrondis pour casser le rythme.

Si j’étais toi, je verrais tout mélangé pour encore mieux raconter.

Si j’étais toi, je verrais les grands yeux écarquillés turquoise, la bouche immense prolifique.

Si j’étais moi, je rassemblerais toutes les cartes et on se ferait une partie d’enfer.

Texte de Valérie

Vesseaux- 2019

 

Le passage

 

C’était un jour gris, un gris étincelant comme la robe de la jeune fille. Elle venait d’éviter l’orage et sur son visage amusé, je lisais un regard mutin.

A peine sortie de l’enfance, elle avait été mise sur le chemin de Dieu, chemin qui appelle à la prudence par temps de pluie.

Son corps malin, corps de femme à peine éclose, cherchait son équilibre pour rejoindre l’autre rive.

Hésitante, bien que joyeuse, elle ne savait pas tout à fait ce qui l’attendait ni ce que ce passage signifiait pour elle.

Dans le silence du matin, elle était comme un phare qui éclaire l’océan, une brise qui se lève et caresse du regard le badaud que je suis.

Sortie d’un rêve et arrivée ici comme par miracle, la jeune fille sentait que ce chemin pouvait aussi réserver de belles surprises et devenir fascinant.

Son pas devînt plus assuré quand elle me vît lui sourire, un sourire appuyé par l’expérience de celle qui l’a précédée.

Sourire doublé d’une irrésistible envie de l’encourager à ouvrir la fenêtre de ce nouveau monde.

Texte de Michèle

Vesseaux - 2019

 

La nuit .

L Arizona .

Sous la table, le couple de voyageurs dormaient .

Dans cette minuscule cabane vivaient leur hôte et ses deux enfants indiens , adoptés .

Pas question de laisser dormir ces touristes Français dehors dans ce désert !

Ce n était pas n importe quel désert :

Certes le sable était présent ,

certes quelques cactus s élevaient vers le ciel

Certes un point d eau avait pu émerger des entrailles de la terre

Mais dés qu on s éloignait de cet îlot , tout revêtait un caractère inattendu , dangereux

Non! Nos voyageurs n auraient pu y survivre .

Cela , ils ne pouvaient pas le savoir , l imaginer .

Leur hôte s était bien gardé de parler de quoi que se soit à ce sujet , de peur qu ils veuillent «aller voir » .

 

La nuit cet au-delà vous enlace , vous emprisonne dans sa toile d araignée:

Rien pour se défendre , vos cris seront absorbés par ce néant , cette noirceur .

Les étoiles dans le ciel vous feront croire a la beauté des lieux et pourtant , l hôte lui seul sait:

Il sait jusqu'où il peut s aventurer vers cette un ligne de démarcation , cette ligne de non retour .

Quant il flirte avec elle : son cœur s accélère , ses poumons commencent a être privé d air , son cerveau perd peu a peu de sa lucidité.

Il le sait tout cela .

Pourtant il aimerait « y aller voir» mais il a deux enfants ….

Il se dit souvent qu il y a sûrement un moyen de traverser cette zone , de déjouer , défier ces forces , cet espace .

Il l a toujours côtoyée , je dirai même qu il joue avec elle pour savoir jusqu'où il peut aller .

Oui il cherche a l apprivoiser .

 

« Ces Français seraient des proies trop faciles , mais moi je peux la narguer  » pensa-t-il au beau milieu de la nuit , alors que ceux ci dormaient insouciant , sous la table .

« Quelle chance qu ils m aient rencontre , eux qui insistaient tant pour dormir dans le désert cette nuit» 

Sinon on aurait pu lire dans un quotidien local :

« Deux touristes français disparus dans le désert de l Arizona  »

l aventure se serait terminée là , bêtement .

Sur ses pensées , soulagé , l homme se rendormit aussi sur que les voyageurs dormaient sous la table .

 

C était une nuit ,

une nuit comme les autres .

Texte de Stan

Vesseaux - 2019

 

Dans la salle d'examen, les candidats sont disposés en quinconce tous les mètres, de sorte que, où qu'ils soient, ils sont cernés.

A ma droite, mon voisin en retard se laisse choir dans un fracas sourd de menhir qui fait gémir la frêle assise en peuplier de sa chaise. A ma gauche, un courant d'air me signale qu'une jeune fille vient d'ôter son haut de jogging. Le crescendo métallique de son zip semble donner la note aiguë de ce moment pourtant grave où chacun va jouer son année.

Parmi les instruments de percussion, je distingue les talons de cuir de la responsable de salle derrière son bureau, qui trépignent à pas cadencés dans l'attente des sujets, suivie de près, dans un contrepoint très baroque, du frottement des semelles de gomme de son acolyte plus âgé. Cette alternance de sons nets, determinés, et de carresses hésitantes sur le parquet délavé, fait naître chez nous l'appréhension, mi-baguette, mi-balai, des corrections à venir.

Les chuchotements se taisent peu à peu. Chez les cordes, une toux grasse et grave perce le silence, et une autre, côté tableau, lui répond d'un pupitre baryton. Le cliquetis des stylos et le frou-frou des feuilles de brouillon se font plus rares. On entendrait presque le ronronnement indifférent des autos qui passent sur l'asphalte, filtré par les soupiraux entrouverts.

La tension est à son comble. On retient son souffle. Mais on sursaute bruyamment : une voix de soprane mal placée se fait entendre à la porte du fond. Un « Excusez-moi ! » de cerbère agressif annonce l'arrivée des sujets.

Texte de Marie Andrée

Libin - 2018

 

Seule au bord de la mer,cheveux dénoués, elle avance. Elle met les pieds dans l'eau fraîche, délicatement.

 

D'abord un peu frileuse, elle sent le mouvement des vagues l'envahir peu à peu. Elle savoure ce moment de bien-être.

 

Puis l'envie lui vient de plonger tout entière dans un tourbillon de vagues et de se laisser emporter longtemps au plus profond. Au plus loin d'elle-même...

 

Texte de Marc

Saint-Privat - 2019

'One for the money,

two for show,

three to get ready now go ….'

 

Go Go, vas y go !

Ouf, j'ai failli rater le départ du morceau du King Elvis que tous les danseurs attendaient. Bon, ça va, ma guitare connaît le chemin, elle se débrouille toute seule. Mais sans le coup d’œil fulgurant de Lucie, notre chanteuse, je restais scotché à regarder ces gens, là en bas. Ils bougent, s'agitent, se croisent, se collent, se décollent, s'enlacent, se délassent, se placent, se déplacent, se déhanchent, se tendent, se détendent, s'ouvrent, se libèrent, se retrouvent …

 

Moi qui suit resté 2 secondes en coupure, je ne voyais plus aucune grâce dans ces mouvements frénétiques. Mais là, ça y est, le son, notre son à nous musiciens, est là pour orchestrer ce petit univers.

 

Magique, cette harmonie qui arrive à s'imposer en sortant des hauts parleurs de notre sono. Merci Lucie, tu m'as remis les pieds sur terre. J'y suis, pas de soucis, je tiens la rythmique, ça me descends dans les chaussures.

 

Il a bien fait, Elvis Presley, de chanter sur ses chaussures bleues … On arrive à la fin …

 

' Don't Step on my Blue Suede Shoes ' ...

Texte de Frantz

Saint Privat 2019

 

Onéreuse punaise

 

Punaise des bois, croix de bois, croix de fer, croix de guerre ; j’y crois pas, c’est la « Der des Ders ». Pas d’air dans ce climat ; ‘R’, ‘S’, ‘T’, ‘U’, ‘V’, ‘W’, ‘X’, ‘Y’, ‘Z’. Ça y est, stop, c’est la fin ! Ça repart, le manège de la vie … et la mort aussi. Saucisse, manif, canif en fer, « la croix » ; distinction, haute, rocailleuse, acérée ; raie Manta, un voilier, l’albatros, l’albâtre sur les murs et la chaux aussi. Elle a chaud aussi ! Oh, si… on pouvait mettre Paris en bouteille, il faudrait une grosse bouteille, un petit Paris. Des gros paris au casino ; des gros sumos en kimonos qui mangent des glaces Miko, des bonbons Michoko, chocolat, caramel, au beurre salé de Bretagne, salé parce que les vaches vivent au bord de la mer, les veaux aux abords de leur mère ; amère la mère qu’on voit danser le long des golfes clairs. Les huîtres claires d’Oléron, cette chère Claire… une rencontre onéreuse !

Texte de Anne-Marie

Saint-Privat 2019

 

Aujourd'hui est un grand jour, j'ai douze ans.

Mon rêve est devenu réalité, j'ai reçu la trottinette électrique tant convoité.

Je l'essaie aussitôt.

Quel bonheur ma trottinette en carbone noir!

Ma trottinette chemine lentement, tente de se mouvoir entre quelques promeneurs.

Belle trottinette, tu te traînes un peu !

 

C'est bon, nous ne faisons plus qu'un, poignets du guidon greffés aux mains. Trottine ma légère sur l'asphalte. J'ai assimilé toutes les consignes.

 

Je décide d'aller sur le balladoir (1) de la plage.

Le vent se fait caressant. Je prends confiance.

Je danse, saute, cabriole, bondis, prends des risques. Tes amortisseurs assurent. Je suis agile.

Ton accélération est rapide. Je m'envole, m'éclate.

Excitant la vitesse ! Célérité, promptitude. Tu réponds. Je serre ta fourche, augmente le régime.

Nous nous accouplons.

 

Un cycliste fait irruption, force le passage, envahit mon champs, mon honneur.

-Qui c'est le champion?

Je m'agrippe, esquive un chien en laisse, dévale la dune, rebondis dans le sable, émerge sur une serviette, dégringole plus bas, déboule sur un cactus.

Je rétro pédale, rattrape ma trottinette, je ne dois pas la lâcher. Elle m’entraîne.

Je perds l'équilibre, bascule, glisse, m'étale et mords le sable.

Ma main droite serre la poignée, je m'effondre de nouveau et plonge dans la mer.

 

Avec ma trottinette, avec ma trottinette, avec ma trottinette.

Texte de Martine

Saint-Privat  2019

 

Léon au bal du 14 juillet.

J'ai soif, fait chaud, aller Duduche encore une, juste une petite pour la route ... La der des der.Craché juré.

Bon la chaise là-bas... au bout d'la salle... On y est... presque... Yes!

La table est dégueulasse, poisseuse, collante, puante... C'est la chiotte...

Tiens, y a l'Robert qu'en tient une bonne... avec sa grosse Bertha... Bon c'est pas Bertha mais pour sûr qu'elle est gorjus et encore plus fessue .. j'sais pas c'qu'il lui trouve.

Ça sait pas danser tout c'monde, ça s'dandine, ça s'frétille, ça glousse....

Franchement ça me donne le tournis, même que ça me fait gerber tous ces ploucks...Connards, bâtards, salopards...

Y vont bientôt v'nir m'écraser les panards à s'bousculer tous... Connards.

Les p'tits jeunes se sentent pu pisser... Ça s'pavane, y s'y croivent en haut de l'échelle, de l'affiche...

Péteux, boutonneux, pensent qu'à ça...Et c'est pas pour déplaire à la p'tite Elsa... Emma, Léa, Vanessa... J'en passe et des meilleurs... Des filles tout comme il faut... Tiens, même la fille du fromager.... Bon, peut-être ben qu'c'est celle du maire...

J'embrouille avec tout ce bruit, ces gesticulades, culades, cul ... tous des enculés... PD, PD, sal'tés, tiens!

Franchement les fêtards j'peux pas les blairer, ça me débecte, y m'font dégueuler... Gerber.

Leurs p'tites jupettes laissent voir leurs cuisses. Si ça trouve y'en a qu'on pas d'culotte... oui, con, con, toutes des putes, des salopes....

Ouais, ça fait gerber, la nausée, dégobiller dans les chiottes,

Chiotte chiotte...

J'm'y attendais, y coupe la lumière... Aller, ils vont tous se p'loter avec la bénédiction du pape...

Ah, les vieux y s'y collent. Vont même pas attendre d'être chez eux. Font tout ça bien en vue... Histoire que ça se sache... Qui baisent ... qui baisent ...

Ça fait chaud ici, chaud. On pète de chaud... Tous des péteux, des gueux dégueus, des vicieux...

Foutez-moi le camp, gros dégueulasses !

J'ai soif, j'ai trop soif... A boire, à boire, à boire Duduche, à boire...

C'est trop moche, c'est trop moche...

J'suis tout seul, tout seul...

Elle s'est tiré avec les gosses, l'a embarqué les meubles, la bagnole... Tout, elle a tout pris même les douilles...

Salopes, toutes des salopes...

Ça pue! Ça pue! J'me tire.

Texte de Franck

Saint-Privat  2019

 

Le jour du méchoui de l’entreprise

On a savouré de belles tranches de gigot dorées

Le gratin de pommes de terre nous a bien calés

On a chaud, il faut digérer

On a envie de rigoler, de bouger,

À l’ombre des marronniers

On décide d’aller chercher les pétanques,

Dans les voitures

On peut toujours compter sur les fidèles

Même si le plaisir viendra vite pour les néophytes

On déballe les boules

On se bagarre pour avoir les noires

Mais on doit un peu cadrer les parties

Alors on fait la liste

A gauche les néophytes, à droite les cadors, hommes et femmes mélangés,

On mixe ainsi le tirage au sort

Les équipes partent chacune sur leur chemin

On évite les gros cailloux

Les pistes lisses sont plus faciles

On a parfois des déçus

La pétanque c’est un lieu d’échange

On aime jouer et partager

Se détendre avec ceux que l’on adore

Et on attaque

Pour gagner mais surtout pour se marrer

On vise la lunette

On tire à la raclette

On suce le biberon

La boule qui roule provoque des sensations, on doit doser

On découvre que Robert souvent si dur avec Ginette joue en douceur

Et que la douce Marion ne balance que des avions

A la fin on se fait des accolades

On s’embrasse

La journée finira bien

On a partagé de bons moments

On a juste envie de recommencer…

Texte de Aurélie

Libin - 2019

 

Je suis légère, je me laisse porter par le courant, parfois je tourbillonne, parfois je tombe...

Je suis la Plume.

Naguère, je voyageais à tire d'ailes feutré, j'étais bien rangée, lissée, aux côtés de mes sœurs.

J'obéissais aux commandes des os et des muscles qui eux-mêmes suivaient les ordres des nerfs parcourus par un influx électrique.

Aujourd'hui, je suis libérée, je me sens unique, enfin différenciées de mes sœurs.

Je vais là où le vent me mène.

Je peux côtoyer les galets de la plage, à la faveur d'un alizé, je peux prendre de la hauteur, je peux découvrir des lieux magnifiques au gré de mes envies sans penser à demain.

A cet instant même, je suis déroutée, j'entends un son étranger, un chant angélique d'une douce innocence. Je vois approcher de ma frêle ramure une petite main potelée. Elle me saisit avec délicatesse et tendresse. Elle me porte jusqu'à je me retrouve face à deux émeraudes qui pétillent et m'observent sous toutes mes coutures.

Enfin une petite voix me dit "Bonjour Jolie Plume, je vous trouve très belle. Je m'appelle Aurélie, j'ai 7 ans, voudrais-tu devenir mon amie?

Texte d'Albane

Saint-Privat 2019

 

La foule s'était réunie autour du feu de la St Jean. Tous ces fêtards festoyaient sur les airs de la fanfare. Malgré mon air effarouché, ce farfadet, sous un prétexte fallacieux, s'affala sur moi. Il aurait bien mérité une fessée. Mais sa mine flétrie me fut fatale.

Il me dit être ferrailleur et qu'en me voyant, il 'avait eu qu'une envie, celle de m'offrir des fleurs.

La faiblesse du cœur ne fit pas le poids face à la fougue de cet enflammé. J'aurai dû me méfier de ce fieffé menteur, pas plus fidèle que flemmard, qui me fit au final une flopée de mouflets. Tous ravis de fêter chaque année autour du feu de la St Jean la fusion de deux feu follets.

Texte d'Aude

Vesseaux - 2018

 

MON AMI FROZGÜLL

Depuis que Monsieur Firmin avait installé Frozgüll dans sa cuisine, la vie lui semblait incomparablement plus douce. Ils avaient nourri l’un pour l’autre dès le début, une amitié respectueuse qui s’épanouissait chaque matin un peu plus.
Engourdi par une nuit souvent agitée (surtout lorsqu’il oubliait de prendre son sirop à la camomille avant de se coucher), Monsieur Firmin, trainant du slip, l’œil ramolli et la lèvre pendante, était depuis toujours passé du lit au petit déjeuner dans un état d’abrutissement total. 
Mais depuis l’arrivée de Frozgüll, il n’en était plus de même. En effet, celui-ci mettait tout en œuvre pour alléger la torpeur de son ami. D’humeur immanquablement égale, il avait l’œil rond et brillant, la patte solide et le dos accueillant, on pouvait sans crainte se reposer sur lui. Monsieur Firmin s’en félicitait et devant ses voisins circonspects, ne tarissait pas d’éloges : « Frozgüll y comprend tout, pi toujours là quand on a b’soin de lui, et pas cher avec ça, ah pour sûr que j’l’abandonnerai pas çui-là, putôt crever ! » Les voisins hochaient la tête, dubitatifs, un peu envieux probablement.
Leurs deux vies n’auraient pu rester qu’amour et harmonie si un malencontreux incident n’eût  fait tout éclater par un joli matin d’avril.
Alors qu’il s’apprêtait à poser son énorme postérieur sur le dos bienveillant de son ami, ce dernier eu un très léger recul de la patte gauche. Oh, trois fois rien naturellement, une simple hésitation comme on pourrait tous en avoir au moment d’enlever la limace perdue dans son assiette de salade composée. Une appréhention, un je ne sais quoi, une simple mélancolie probablement. Cependant, Monsieur Firmin, qui vouait une confiance aveugle à Frozgüll, chu lourdement sur le carrelage graisseux, entrainant avec lui le grille-pain, la serpillère, les croissants congelés, le pot de miel et le pot de chambre dans un joyeux et nauséabond feu d’artifice matinal.
Sa colère fut totalement disproportionnée. Il se releva, coiffé de sa serpillère, un croissant collé au postérieur, constellé de crottes fondues au miel (il lui arrivait d’être constipé, surtout la nuit), hurlant de sordides imprécations à l’encontre du malheureux fautif, tremblant dans un coin, les quatre fers en l’air. Il prit son tabouret et le lança violemment par la fenêtre ouverte.
Puis, aveuglé de larmes et de remords, il courut au secours de l’infortuné, qui gisait, inerte, dans le buddleia à demi arraché.
Il s’excusa, nettoya les petits trous adorables, un par un, avec son slip humecté par l’eau de ses larmes, puis s’assit, humble et nu, en signe de pardon sur son Frozgüll bien-aimé.
Toutefois, le pauvre tabouret, encore étourdit et tremblant de rancune, attrapa, mon dieu, l’unique objet pendouillant qui lui passa sous la dent et mordit sauvagement les parties intimes de Monsieur Firmin.

Il ne fallut pas moins de trois médecins urgentistes pour séparer les deux combattants, l’un comme l’autre, enragé…

Texte de Nathalie

Saint- Privat - 2019

 

La pluie du piano palpite dans mon cœur

La pluie du piano palpite dans mes pieds

L’eau de l’archet libère mes ailes

Un torrent de notes traverse mon thorax

De sages silences soulèvent mon ventre

La pluie du piano palpite dans mon cœur

La pluie du piano palpite dans mes pas

Je danse, danse, danse …

 

Texte de Philippe

Libin 2018

 

Le mariage

 

 

La mariée était trop belle, trop amoureuse, trop rayonnante.

La noce était trop joyeuse, trop gaie, trop colorée.

Le ciel était trop clair, trop lumineux, trop vaste.

Et c’est à moment-là que le drame arriva : le père de la mariée, le père de Célestine, avala une arrête et s’étouffa : il devint cramoisi, se convulsa, se contorsionna, se tordit, puis s’effondra, raide, bleu, contracté, cadavérique…

 

Autour de lui des cris, des chaises qui grincent, qu’on renverse, panique, bousculade, gesticulations :

–« Un médecin, vite un médecin !»

Mais il n’y a pas de médecin !

Quelqu’un a une idée :

–« Le docteur Pavel!»

 

Le vieux médecin de famille, invité un peu parce qu’il fallait, est précipité vers le corps inanimé, le vieux docteur Pavel qui n’a plus guéri grand monde depuis longtemps parce qu’il ne sait plus, parce qu’il est trop vieux, parce qu’il tremble trop et que ses études de médecine si loin de maintenant, si loin de ce qu’il voit là, au pied de la table, le vieux docteur Pavel, un peu éméché, un peu gâteux, se penche en titubant sur l’homme immobile qui semble ne plus respirer, le vieux docteur Pavel qui n’a pas pris pour venir à la fête, son stéthoscope remisé depuis longtemps, colle son oreille sur la poitrine du père inerte, se redresse et cherche en tremblant le pouls au poignet déjà froid de son ancien patient, il cherche ce pouls, ce bon dieu de pouls, ce foutu pouls… puis se redresse lentement, il déploie son dos à l’allure que lui permet l’arthrose de sa colonne vertébrale et tout ses becs de perroquet et dit d’une voix chevrotante : « c’est fini… » il répète comme s’il n’y croyait pas ou qu’on ne le croyait pas : « c’est fini…»

Texte d'Aline

Vesseaux- 2018

 

Je marche le long du chemin qui mène à la vieille cabane de bois. Je n'aime pas le chemin, il est couvert de cailloux qui s'enfonce dans la semelle de mes chaussures et me font parfois perdre l'équilibre. C'est moi qui ai tiré la courte paille. En fait pas vraiment. J'étais juste le dernier de mes frères et soeurs à sortir de table et du coup ma mère, qui était déjà affairée devant l'évier, a regardé par-dessus son épaule et m'a aperçu en train de terminer mon dessert tout en lisant sur mon portable. - Louis, tu apporteras le panier de mamie tic tac. C'est là que je me suis rendu compte que j'étais le dernier.  
On l'appelle mamie, mais en fait ce n'est pas notre grand-mère, c'est notre arrière-arrière-grand mère. Personne ne connaît plus son âge. Certains dans le village disent qu'elle a plus de 150 ans, d'autres que ce n'est même pas notre aïeule, mais une vieille sorcière du Moyen-Age qui aurait fait un pacte avec le diable pour avoir la vie éternelle.   J'arrive à la cabane où elle vit. Je toque, elle m'ouvre en prononçant quelque chose que je ne comprends pas et que j'interprète comme étant "entre", comme d'habitude. Elle me prend le panier des mains et s'éloigne un peu de son pas lent et nonchalant. Elle fouille dans le panier et fronce des sourcils. - Ta mère a oublié la langue de rat.   Pendant un moment, je ne suis pas sûr de l'avoir entendue correctement. Mais quand je rencontre ses yeux mystérieusement clairs et profond, je vois qu'elle me regarde très sérieusement. J'hésite, je blanchis, je bafouille. Alors un léger sourire se dessine sur son visage et le transforme complètement. Elle se retourne et se dirige tranquillement vers son fauteuil en riant doucement, contente de son tour. 

Texte de Nathalie

Vesseaux- 2018

 

Porte de la Villette
Peut-être. Parfois. Toujours. Jamais. Un jour…
“Peut-être, un jour j’y retournerai”, se dit Tonio.
Accoudé au comptoir, Tonio regarde son demi de l’après-midi avec un soupçon de nostalgie. Il sort tout juste de l’abattoir de luxe où il travaille et où, au fil des années, il a laissé ses désirs se dessécher, ses espoirs se taire.
Amstramgram, comme il aimerait retrouver sa verdeur et son entrain, comme il aimerait se saisir de la baguette magique de l’oncle Giuseppe, véritable sourcier d’histoires hilarantes. Il aimerait revenir à ce temps béni de son enfance, son dernier été avant qu’il ne quitte la Sicile dans les bagages d’exil de ses parents. Il se souvient de la grande tablée, sous les arbres verts. Il faisait chaud. Nonna avait déposé couverts et assiettes blanches sur la nappe rouge du dimanche. Les cousins de Paris étaient venus pour l’été, en vacances. Giuseppe rentrait d’un voyage à Naples la besace remplie de blagues qu’il a partagées à l’envi. Tonio se souvient de celle de la crevasse sur mars, se surprend à en rire aujourd’hui encore.

Texte de France

Libin 2018

 

Je vis dans ce centre depuis de nombreuses années , je ne me souviens pas du jour où j’y suis rentré. Je ne connais pas mon âge,pourtant mon anniversaire est fêté.

Ah ! Quelle jolie fête, tout le monde est là ; moi, j’ai une couronne de papier sur la tête.

Je ne supporte pas les bisous surtout ceux qui mouillent,non , non ,pas de bisous pour moi.Encore moins être serré dans les bras, j’étouffe, je panique et je hurle.

Depuis les années chacun le sait . Pas de chanson, cela fait trop de bruit ,j’ai peur ,

envie de fuir.

A la maison , papa hurlait sans raison ; il me frappait, cognait sur ma mère surtout si elle pleurait ,cela énervait mon père sans raison.

Ici, je suis bien ,j’aime sortir avec le groupe aller boire une limonade,je n’aime pas marcher cela fatigue et mes jambes ont du mal à suivre.

Je suis bien ici, tout le monde me connaît et moi aussi je les connais, j’oublie leur nom, ma tête est malade , trop de médicaments l’endorment, je somnole beaucoup.

J’aime être ici.

 

Texte de Patrice

Vesseaux - 2018

Dans le silence assourdissant, quelques fois perturbé par le bruissement de la pluie sur le carreau, se détachait le cliquetis des doigts sur les touches plastifiées du clavier ; notes fugaces, légères, accompagnées à intervalles réguliers par le glissement du crayon crissant sur le papier revêche,récalcitrant à l’écriture .Soupirs pesants, sifflotants, rauques, d’un compagnon d’infortune, dont l’éloignement familial obligeait à une correspondance épistolaire dont il ne maîtrisait en rien la technique .
Le papier aride, au fort grammage, lui renvoyait toute la douleur criarde du poids de son crayon , dont la mine noire et épuisée rompait régulièrement, en arrachant quelques cris légers mais néanmoins stridents au support déchiré .
 

Texte d'Anne

Vesseaux 2018

Le train a démarré depuis longtemps, il a trouvé son rythme de croisière, et je me suis endormie. Un de ces sommeils légers, dans lequel on entend tout ce qui se passe  autour de nous, sans pour autant en saisir la réalité. Un de ces sommeils qui nous laisse croire à la perception du réel tout en nous entraînant vers un ailleurs. Un de ces sommeils dont j’essaie de sortir sans y parvenir. Je suis donc là dans ce train, et je ressens la vitesse au fond de mon ventre. Elle s‘empare de moi, me fait tourbillonner, et tout à coup, je tombe, dans un trou, vite, un puits sans fond,  je suis aspirée, happée, j’essaie d’ouvrir les yeux, je sais que je rêve, je n’y arrive pas, tout mon corps est englouti . Au prix de violents efforts, j’arrive à soulever une paupière, j’ai encore l’impression de tomber, mais je suis surtout saisie par la ligne qui défile autour de moi. Je ne peux plus rien voir à travers la vitre, juste  une ligne floue, confuse, des couleurs qui se juxtaposent, se superposent. Au vert des champs se mêlent des tons jaunes, eux-mêmes tamisés de noir, certainement les poteaux électriques et leurs fils qui se succèdent à l’infini. Oh, une éolienne, deux, trois, plus rien le vert, le jaune, le noir, fracas, vacarme, stridence, un grand souffle, un train en sens inverse, je suis comme propulsée en arrière, un tout petit mouvement que je ressens comme une grande poussée, le noir encore, total cette fois. Les lumières s’allument, le tunnel. Je ne sais pas si je suis réveillée ou si je somnole encore, je ne sais pas si je vois tout cela  ou si je l’imagine, je ne sais pas si ce tourbillon au fond de moi est ressenti ou rêvé. 

Texte de Lisette

Vesseaux - 2019

 

Curé… Curé !

Mais qu’est- ce qu’il lui avait pris ?

Il ne s’en souvient même plus !

Quand il était entré au Séminaire, c’était suite à un pari. Un pari con.

Ah ça pour être con il l’était depuis longtemps. Mais là !!!

Ils avaient fumé quelques pets lui et les copains pour fêter le Bac.

Et après, après…

Ben il avait fait son inscription.

Les volutes de Marie-Jeanne n’étaient pas encore évaporées.

Marie- Jeanne, si.

Elle s’était barrée la garce !

Ras le cul, raz de marée dans son cœur d’ado boutonneux.

Chagrin d’amour.

Et par humour et par dépit, il avait signé.

Il était rentré au Séminaire.

Là ou ailleurs, à l’époque il ne savait pas quoi faire.

Entre mecs ils avaient bien déliré, enfin pas tous et pas tout l’temps.

Il avait rencontré Antoine. Un saint cet Antoine.

Il lui avait trouvé d’la dope. Ça passait mieux, les évangiles.

Et les anges il s’en sentait proche.

Le séminaire terminé, pas brillant mais pistonné, il s’était retrouvé dans un p’tit village paumé.

C’est pas sa solde de curé de 2ème classe qui pouvait lui payer ses doses pour supporter.

Il f’sait la confession une fois par mois.

C’était tellement fun leurs histoires qu’il l’a mise en place une fois la s’maine.

Et c’est là qu’il a rencontré le gros Dédé. Un peu benêt.

Racontait tout en confession, même le truc des chewing-gums dans l’tronc pour attraper les pièces.

Et c’est là qu’il a eu l’idée le jeune curé.

Y avait pas grand monde à la messe mais à la quête, les vieilles bigotes étaient généreuses.

Elle le trouvait beau le p’tit curé avec ses grands yeux explosés.

Il ressemblait à Jésus.

Fallait voir leurs lunettes en cul d’bouteille qui s’embrumaient.

Alors le p’tit curé s’est mis à piquer dans la panière, quelques billets des vieilles rombières.

Personne remarquait rien. Il y allait bon train.

Un matin il a croisé un minot d’la ville qui venait voir sa grand- mère, la délester d’un peu d’monnaie.

Y zont fait connaissance.

Les oreilles du jeunot sonnaient sous le poids des boucles d’oreilles.

Le sourcil barré d’une flèche en métal rouillé.

Le p’tit curé ça lui a plu, la quincaillerie, tout l’attirail.

Le minot aussi l’était pas mal !

En fin d’semaine ils ont pris le bus pour la ville, là où habitait le gamin.

Le soir quand il est revenu l’ p’tit curé, il avait le nombril enflé d’une perle dorée.

« Merci mamies pour le cadeau ». L’était pété le p’tit curé.

Avec l’argent de la quête il avait payé l’énergumène qu’avait troué son ventre d’un coup d’poinçon.

L’avait gueulé le p’tit curé mais Marie-Jeanne l’avait aidé. Pas la gamine juste la fumée.

Texte d'Hélène

Vesseaux- 2017

 

Invisible

Cette phrase résonne tjrs à mes oreilles : « tout va rentrer dans l’ordre »…

En guise d’ordre, au fil des mois le désordre a pris place, au fil des années l’anarchie puis le chaos….

Invisible….

Faisant ton nid tu t’es bien installée… me rongeant petit à petit de l’intérieur… me privant des choses les plus simples de la vie… et des grands projets aussi…

Je me suis rebellée, j’ai crié, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai jalousé, j’ai cherché, partout, encore et encore…

Puis j’ai enfin accepté…..ça calme……

Vivre avec…..

Invisible…

Tu es toujours là avec moi, en moi,  tu te joues de moi, tu me suis partout, tu es dans ma chair, dans ma peau, dans mes muscles, dans mes tendons, dans ma tête…

Invisible…

Vivre avec…

La vie continue… le chaos est là…

Vivre avec ….

Invisible…

L’oiseau chante, me ramène à la vie hors de mon corps… hors de la douleur…

Texte de Nicole

Vesseaux- 2018

 

Fritillaire sortit ses casseroles : quel plaisir de touiller et rebouiser les potions diéthyléniques qu’elle irait vendre au marché. Sa réputation de guérisseuse lui assurait une clientèle oncotique. Mr le curé était bien de mèche, il frittait à l’idée des enterrements qu’il irait patafioler.
Fritillaire à l’entrée de la place, son étal près des marches de l’église, trusquinait les passants mantelés en ventant les mérites de sa tambouille méliquée ; mais pas fous, nombreux lui demandaient de goûter.
De colère, Fritillaire barguigna, écuissa et racoisa sa soupe à Mr le curé qui s’envola.

Texte de Nathalie

Vesseaux - 2018

 

Classées par classes et sous-classes, découpées les peaux tannées s’entassent. Point d’improductivité. Les ouvrières dégainent et rengainent chamois, galuchats vélins et parchemins au son cristallin des chants des moniales. Le pointeau en main, la dernière de la chaîne prépare trous et rondelles en vue de canaliser l’afflux des commandes d’après dégel. En hibernation depuis le début de l’hiver chacune reprend goût au travail du cuir. La révérende mère de son regard en crabe surveille et modère grignotages et bavardages, conséquences inévitables de ces retrouvailles. 

Texte de Paulette

Pérouges- 2017

 

O

Oser c'est beau !

Occulter ses a priori ses croyances fausses,

les bobos de la vie

Les bobos de l'ado.

 

Oser ! s'abandonner au labo de la vie

Oh combien solliciteur

Oh combien détonateur

Oh combien prometteur !

 

Oser, c'est se donner la possibilité

de se poser comme l'oiseau sur ce poteau

sur celui-là, pas un autre ;

voir d'en haut le plateau, l'eau, les bateaux,

observateur volontaire et confiant,

 

Et puis voir ce que cela nous apporte.

 

Oser, c'est ouvrir une porte

Et une autre, encore et encore ...

Texte de Valérie

Vesseaux - 2018

 

Il faudra pourtant achever cette lettre…
Seigneur de Montlaur vous fîtes construire ce donjon en 1084.
En 1084, à quatre pattes dans la rue Delichères  il y avait une souillon.
Dans le ventre de cette souillon poussait un ange .
Cet ange serait peint 400 ans plus tard par  Fra Angelico .
Il l’offrirait à Laurent de Medicis qui délicatement un soir de printemps le déposerait au chevet d’une éblouissante rousse.
L’Ange devait lui porter bonheur.
Ce même soir , le 30 Mai 1431 Jeanne brûlait sur un bucher à Rouen .
L’église Saint Laurent est sur la place Jeanne D’Arc.
St Laurent de Rome grillé en 258, patron des rôtisseurs !
Moi, le boucher d’Aubenas, place Jeanne D’Arc, à côté de l’église ST Laurent, je rôtis des poulets en pensant à toi ,
Toi, mon petit être de lumière.
Moi pendu à tes yeux
Tes yeux que tant de choses font trembler
Ton cœur entouré, tombé dans la faille.
Ta devise « toujours plus haut »
Toi, dont je serrais la petite main chaude le mercredi après midi en t’emmenant à la piscine.
Toi, qui chaque matin me souriais, partant vaillamment affronter ta vie.
Toi, qui hurlais dans la lumière de midi face au bleu éternel de la mer « JE SUIS HEUREUX »
Toi, pris dans le déluge des amphétamines.
Toi, tombé un dimanche d’été.
Il faudra bien que j’achève cette lettre.
Il faudra bien que tu l’emportes, avant que je m’en aille.
Moi le boucher d’Aubenas.

Texte de Rachel

Pérouges - 2017

 

Ça y est je suis arrivée! Le froid humide qui pénètre. J'ai besoin de chaud ! Ne pas glisser. La chute pourrait être brutale, cassante, fracturante. Les marches sont lisses comme un miroir. J'empoigne la rampe. Glacée. Frigorifiante. Je m’agrippe ! Je me hisse. J'atteins le palier. Je cherche la clé, je sens son côté aiguisé, un peu tranchant sans être coupant. Je cherche de la main la vacuité de la serrure. La sensation de vide. Là où l'air peut passer …

L'air...Le vent...

La douceur d'un vent chaud qui caresse la peau.

La brûlure du soleil au zénith. Ses caresses au crépuscule.

Les picotements des embruns qui humidifient le grain de ma peau.

Marcher pieds nus sur ce sable mouvant, moelleux. S'y enfoncer, s'y rouler, se faire masser. Puis se relever. Poursuivre sa marche vers un sable plus ferme. Les coquillages qui chatouillent, grattouillent, et peuvent aussi irriter, égratigner, blesser, fissurer. Retrouver le soudain velouté de la salicorne. S'y étendre. Ronde. Effleurer. Laisser ses doigts courir. Attraper. Malaxer. Pétrir puis relâcher. Revenir au velouté moelleux si enveloppant , réconfortant et sécurisant. Si chaud si poignant.

Texte de Anne-Rose

Pérouges - 2017

 

Il faisait beau très beau ce jour-là.

elle revenait de ce déjeuner avec sa fille.

oui vous savez :  l'adolescente !

Celle de l'internat.

Celle qui joue a s'inventer encore avec ses copines pour mieux se reconnaître

celle qui se languit aussi d'une vraie petite histoire d' amoureuse ! enfin.

 

Elles ont mangés indien, je le sais. 

les épices flottaient encore autour d'elles.

 

Il paraît même qu'elles ont pris un apéritif !

oui oui même la petite !

Elle était fière comme un paon.

 

Elle aurait bien voulu la garder encore un peu. Juste un peu.

oui vraiment ...

 

elle a sans doute été agacée de la voir répondre au SMS de ses copines. 

agacée devant son impatience, son envie de les rejoindre vite, au plus vite.

 

Alors elle l'a laissé partir. 

​P​as si simple que ça.

Elle a repris sa voiture pour rentrer,

Elle a repris son chemin à elle

​.​

On dit qu'elle suivait une autre voiture, grise.  

​L​e regard fixé sur la route et le cœur en bataille. 

Peut-être  même qu'elle a essayé d'éclater de rire ?

​Comme pour se distraire un peu et éloigner l'absence

​ ​

Et puis, soudain, devant elle elle l'a vu

​.

S​ur le bas-côté.

 

Cette boule de poil tigré prête à traverser !​

inconsciente, fragile, qui s'aventurait

si peux préparée aux danger de la route,  de la vie ?

 

On me l'a dit, elle s'est raidie.

Elle ne souriait plus.

Elle a serré les dents et tout ces muscles dans une interminable contraction. 

De toutes ses forces.

Comme pour éviter l'innommable,

Pour ralentir l'inévitable.

 

On dit aussi qu'elle aurait voulu avoir de ces supers pouvoirs, un peu divin ...

pour intervenir

​.​

Vous savez, comme ​pour protéger,​pour empêcher...

 

​Tout son corps hurlait : "Pas ça non ! Pas ça!!"​

 

Je crois bien qu'elle a retenu son souffle 

comme pour mieux espérer 

pour mieux prier ?

 

Et puis, il y a eu ​l'expire ....

​inévitable.​

 

Elle a entendu le choc

Mat, sourd,  

​D​oux ?

 

Elle a vu la voiture déviée l'instant

​E​lle a vu la roue engloutir le petit animal 

et elle a pleuré.

Elle a pleuré de son impuissance.

 

On dit aussi​ qu'elle s'est arrêté sur le bas-côté 

on dit même qu'elle a pris des risques pour cela

Mais c'était plus fort qu'elle ...​

​E​lle ne pouvait pas ne pas intervenir

​.

​E​lle ne pouvait pas le laisser là

​​Dans cette solitude silencieuse

​​

Je crois bien qu'à ce moment-là, elle avait encore l'espoir de le sauver

Elle a marché vers lui, l'estomac noué

Il était encore tiède, sans vie

Elle n'y pouvait rien.

Elle faisait face à la colère de son impuissance 

Je sais qu'elle a pleuré. 

​L​ongtemps

​Longtemps.

Texte de Nathalie

Pérouges- 2017

 

Rutilant, tonitruant et triomphant,

Il s’érige sur ses ergots

Jamais il n’a été aussi royal

Roublard, menteur et vengeur,

Il est sans pitié ni compassion

Par ricochets, sa rancœur

S’étale sur plusieurs générations.

Il fait peur, il n’est nul qui ne le craigne

Tout le monde redoute son ire

Sa violence et ses foudres.

Mais il est là, indéboulonnable, irremplaçable

Immuable comme un vieux buffet lourd

Quand partira-t-il ?

Quand s’affaissera-t-il ?

Quand nous lâchera-t-il enfin ?

Je sais – parfois, l’espoir revient –

Qu’il finira par se diluer

Et s’évaporer dans l’espace

Nous libérer.

Est-ce un aigle royal immortel ?

Un mauvais phénix renaissant sans cesse de ses cendres ?

Un pervers dans toute sa grandeur ?

Une malédiction qui vous humilie et vous écrase

Comme une fourmi, une chiure de mouche

Rarement on a tant attendu la fin d’un être.

Et puis et jour l’espoir prend forme

La maladie est là et le paralyse

Chaque jour, un muscle supplémentaire se rétracte, se fige

Ses menaces n’auront bientôt plus de pouvoir.

Voilà qu’il ne peut plus parader, ni même marcher

Ni même parler, ni même crier

Son fusil, son sabre et son nerf de bœuf

Sont rangés dans le bureau

Il a tout perdu de sa superbe

Il ne touchera plus aux armes

Ne fera plus la guerre

Ses menaces et ses cris ont disparu

Le silence l’entoure en permanence.

Mais si, il est mortel !

Nous voilà profondément soulagés ;

Quand il finira par s’éteindre pour de bon,

Nous serons plus libres que jamais.

Texte de Robert

Pérouges - 2017

 

Quelle drôle impulsion j’ai eue là !

Décrypter  l’avenir, mon avenir, comme si cela avait la moindre importance.

Déjà, trouver la pythie dans ce camp Tsigane, ce n’était  pas une mince affaire. Y entrer avais été une première épreuve.  J’ai dû surmonter une forme d’appréhension,  de peur presque.

Pourtant ce fut comme m’avait dit Laurence, tu seras bien accueilli, ces gens sont l’humanité même.

Alors, je suis là devant la vieille, un peu gêné, sans aucune certitude.

Elle me regarde d’un œil malicieux, amusé par mon embarras, m’encourage du geste à exprimer mon désir de savoir.

Désir, quel désir ?

J’ai beau chercher en moi, je ne veux rien savoir, ni le bon, ni le mauvais.

Elle m’encourage encore et je ne fais que confirmer mon refus.  Je la regarde, elle me sourit d’une bouche édentée.

Quel age peut-elle bien avoir ? Cent ans au moins.

Comment a-t-elle survécue aux turpitudes du siècle passé ? Comment a-t-elle pu garder cet air espiègle ?

Elle aurait sans doute beaucoup à m’apprendre, mais pas sur mon devenir ; sur la manière d’être au monde.

Veux pieux sans doute.

Est-il encore temps d’apprendre à vivre…

Texte de Catherine

Saint-Privat- 2017

 

Romarin marin //

Romain ? demain ?? deux nains ???

Deux grands ! deux géants !! Géant !!! Méga-grand !!!!

Grandiose……. Grand Dièse…. Grand Bémol !

B moll !!…… ou blé dur ????

 

DUR DUR !!! dis donc doudou dis donc…

Dadou ronron

Doum doum…. Doum tatavroum..

Boum bada boum….. bam bam ..  boum boum …

Bing bing Tatavroum Broum Broum Oum Oum ..... OUFF!!!!!!

C’est la kataleps dans mon bram !!

Tout se merlicote !!

J’essuie jupe-mergée du trou d’nymphos !

 

ROMARIN ZINZIN !!!! Dingue !!!!!….dingue ? dong ding dong

Pouet pouet Toum tatavroum Tac tac Toc Toc TOUT çA TOCTOC !!!!!

 

ROMARIN RIN RIN !! NON je ne regretteu RIN !!!!

Merki Boku fourtout !!

Je vous patafiole grav !!!!!

Texte de Julie

Saint Privat - 2017

 

J'aime la beauté de ton visage ridé comme une vieille pomme. Une pomme d'amour éclairée par l'eau de tes yeux. Chaque ride dessine les lignes de ta vie, un parchemin, écritures palimpsestes du temps qui passe. Tu es belle de cette beauté de la Vie qui exprime la Joie. Tes traits ne sont pas marqués par l'amertume. Ils reflètent ce que tu as trouvé au plus profond de toi, de plus doux, de plus pur, de plus spontané, la source de la Vie qui coule à travers nous, sans fin et depuis la nuit des temps.

Ton fin sourire où affleure l'éclat de ton rire malicieux se joue de la grande comédie de la Vie.

Tu as aimé, tu as haï.

Tu as ri, tu as pleuré l'absence.

Tu as enfanté, tu as perdu des êtres aimés.

Tu as été comblée, tu as souffert du manque.

Aujourd'hui, tu te tiens droite, malgré l'âge, haut dressée, les pieds ancrés dans la terre et la lune de ton visage tournée vers le ciel. En paix. Comme apaisée. Déjà loin du fracas du monde. Loin des contradictions, des choix, des hésitations. Unie en toi-même et déjà réunie à tout l'univers.

Au seuil du grand âge, de la mort, tu m'adresses un clin d’œil complice : la Vie est un jeu, ma chérie, laisse-la couler en toi avec légèreté, de toute éternité.

Texte de Jacques

Libin - 2016

 

La vie continue, imperturbable avec ses mouvements et ses bruits. Mouvement des feuilles caressées par le vent, bruit de la circulation sur la route proche et sur l’autoroute lointain. 

Les hirondelles, toujours à la recherche d’insectes, volent bas, signe annonciateur de pluie. Coin de ciel bleu, espérance de jours meilleurs.

Deux arbres poussent en se rapprochant comme s’ils allaient s’embrasser. Couleur apaisante de l’herbe qui donne envie de s’y étendre. Couleur plus sombre des feuilles arrivées à maturité.

Végétation qui apparaît au travers d’une haie à la recherche du soleil.

Et dans tout cela, la main de l’homme qui essaie de s’intégrer et souvenir du bonheur de Béatrice dans cette nature paisible.

Texte de François

Saint-Privat 2017

 

Esguardez cette histoire dont, en l'an mille gargandre trois, je fus le témoin.

Mon creubilon, dont j'étais alors le gourbil en chef, voguatait sur les trouffiasses océans du sud. Une escarbissante tempête carabossait le vaisseau, la gîte diguenassait férocement, à vue d'oeil. Il fallait, "drieu de bieu", raguenasser la situation prestemment.

- Escarbissez les voiles !

- Galochez le parpain tribord !

- Sarcastissez tous les madrigons sans en omettre un seul !

- Paltoquez les drisses de haubans !

 

L'un des matelossons s'y oppose farouchement et m'étarbicle, sous prétexte que mon option et grabieuse, voire carrément périlleuse. "Diou de diou", je suis le matrillon de ce navire et le resterai. Il convient donc urgemment de sarpaquer ce fripouillon rebelle, de le friloquer vertement avant que la situation ne se tarabicle et ne dégénère.

 

Muni de mon sabre, je le carfouille d'un revers sec et rapide, je l'écorcobalisse, je le scratifiole contre le mas central, ceci sous le regard estropiclé de tout l'équipage. Mon sabre se cribiole contre son flan et écarblisse son poumon.

 

Le pigniafion rebelle est désormais hors de nuire et la situation est momentanément ascafée.

 

La morale de cette trifouillade est qu'en matière de décision, l'hésitation ne tarbacole jamais la raison.

Texte de René

Saint Privat- 2017

 

UN SOMMEIL DANS LES SENTEURS

 

C’est une canicule qui exhale les odeurs de la terre sèche qui montent en colonnes de sables comme en plein désert

De la route la haie de lilas laisse descendre son parfum sur les promeneurs du sentier

Le Viel homme fume sa pipe, les effluves de tabac habillent ses vêtements

Plus loin des odeurs de roses qui pleurent, des jasmins transportés par un peu d’air s’évaporent

Le passant se baisse sur le libertinage des œillets

Le goutte à goutte de la fontaine fait transgresser l’odeur de la vase dans les fleurs dans l’abondance de la glycine dans la luxure des pivoines

C’est l’allégeance et la politesse du soir qui tombe ou le vent cessera de passer dans le tilleul dont les fleurs se délasseront sous notre nez

Ce sont ces instants ou la lumière descend avec la respiration du jour, du bonheur qui gonflent les poumons qui gardent dans le corps des odeurs éternelles, murmure du crépuscule .

Texte de Josée

Saint Privat 2017

 

Bon, hé bien voilà…, c’est fait, mon fils chéri est marié…, marié avec "Justine"…

 

Mon Dieu, pourquoi avoir choisi cette Justine ?

 

Quand je la vois se trémousser comme ça dans sa robe de mariée…

Quelle vulgarité !

 

Cette robe bustier n’est pas du tout appropriée à sa forte poitrine.

Un sein est prêt à sortir à tout moment de son soutien-gorge à balconnets !

Quelle horreur !

 

Et puis alors, elle est moulante cette robe, Mon Dieu, qu’est-ce qu’elle est moulante !

Ça lui fait un de ces pétards !

 

D’ailleurs en regardant d’un peu plus près…, je trouve qu’elle a un sacré petit

bedon aussi…

J’avais pas remarqué avant qu’elle porte cette robe.

 

Tiens, tiens, ça m’interpelle… Et si elle était enceinte ?!

Mon Dieu, ça y est c’est sûr, elle est enceinte ! Je suis sûre qu’elle est enceinte !

 

Cette petite peste lui a fait un bébé dans le dos pour qu’ils se marient !

Mon fils chéri est tellement gentil qu’il n’a pas osé dire NON !

 

Oui, oui, j’arrive ma Chère Justine…, j’arrive pour la photo !

Avant tout, je voulais vous dire, je n’ai pas encore eu le temps depuis ce matin, vous êtes M.A.G.N.I.F.I.Q.U.E !

Votre robe de mariée vous sied à merveille !

Texte de Monique

Saint Privat - 2016

 

La rose et le bambin

La rose se présente à l’enfant, dans une gerbe de fleurs du jardin. Cueillie à la fraicheur de l’aube, elle repose, alanguie sur la table de la terrasse ombragée. Attiré, l’enfant se détache des bras caressants de sa mère assise, glisse entre ses jambes soyeuses et, s’accroche aux arêtes de la table en pierre, pour se hisser vers le bouquet. Sa petite main potelée, tapote d’un doigt le pétale duveteux, puis quatre doigts agrippent le calice doux et palpitant au vent léger.

Aussitôt, la rose se porte à sa bouche, léchée en un premier temps, passée sur les lèvres gourmandes, puis mâchouillé par les petites dents de lait, comme pour identifier le végétal, son essence, sa texture, sa mouillure au contact de la salive, de la langue.

Soudain, un cri…L’épine maline a accroché la joue. Aussitôt, les bras vigoureux de la mère agrippent le bambin blessé et, une caresse légère essuie la goutte de sang perlée.

1° leçon de vie : La beauté se mange, mais sa douceur apparente, griffe aussi l’âme innocente.

Texte de Guy

Libin - 2018

 

Dans un vieux train.


 

On ne fait pas toujours attention au wagon dans lequel on pénètre pour voyager d’un endroit à un autre.

On prend le train, c’est tout !

Déjà, s’il est à l’heure, on est content. On ne regarde pas la tête du conducteur.

On prend le train, c’est tout !

Quand il se met en route, on s’imagine déjà être arrivé à destination. On a nos souvenirs d’avant et nos pensées sont déjà prises par le futur. On n’imagine même pas que le conducteur s’est levé à cinq heures du matin pour vérifier l’état de la locomotive qui tire ces tonnes d’acier. On ne songe pas un instant à la dame qui s’est levée, elle aussi, aux aurores pour que notre compartiment soit propre.

On prend le train, c’est tout !

On ne veut pas regarder ces cœurs gravés sur les parois intérieures des wagons, sur les fauteuils, dans les couloirs.

On prend le train, c’est tout !

On ne regarde pas le paysage, on le connaît. On ne regarde pas le ciel. On ne cause pas. On ne réfléchit pas. En face de nous, un être qui pourrait nous raconter son histoire. On ne veut pas l’écouter et on le montre bien.

On prend le train, c’est tout !

On prend le train, c’est tout !

On prend le train, c’est tout !

Tiens ! Tu as entendu le bruit lancinant de ces phrases ? On dirait un wagon qui passe sur des rails.

On prend le train, c’est tout !

On prend le train, c’est tout !

On prend le train, c’est tout !

On …

Texte de Véronique

Libin- 2018

 

Né sous X il y a soixante-trois ans,

il n’a jamais cherché à en savoir plus.

Jusqu’à ses dix-huit ans, il est resté dans l’institution qui l’a accueilli.

C’était un élève moyen

avec des possibilités s’il l’avait souhaité.

Mais non.

Décidément, non.

Les études,

ce n’était pas pour lui.

Il a préféré la vie active, le travail!

Il est monté à Paris.

Il est resté petit, a perdu ses cheveux.

Ce crâne dégarni révèle une balafre, souvenir d’une bêtise entre copains.

Dans ses yeux foncés danse une petite flamme.

Celle de la bonté, de la bienveillance qui accompagnent chaque mot gentil

prodigué autour de lui, dès qu’il le peut.

Pas de femme, pas de compagne.

Elles cherchent toutes « le Prince Charmant ».

Pourtant charmant, il peut l’être…il l’est.

Actif, sportif, il l’a toujours été.

Il aurait rêvé d’une accompagnatrice mignonne et légère

avec qui il aurait aimé danser…

Danser sa vie…

Au contraire, il est resté célibataire et vit seul.

Technicien de surface dans la grande arche de la Défense,

c’est avec brosse et raclette qu’il danse sa vie

pour garder sa souplesse et sa joie de vivre.

Texte de Pierrette

Libin- 2018

 

Dehors, j’ai trébuché sous le regard des fauves.

 

Mes cahiers sont bien rangés dans mon cartable.

J’attends.

Sur mon visage se lit l’inquiétude.

J’ai besoin d’amour.

Le mode m’effraie.

Je me sens comme une bouteille au milieu de l’océan, perdu parmi ce déluge de cris.

Je suis timide, toujours en retrait.

Je voudrais me fondre dans le néant.

Je n’ai pas le choix, je reste de marbre.

Seul le miracle d’un regard, d’une main tendue pourrait me libérer de cette écorce qui m’emprisonne.

Dieu viendra-t-il à mon secours ?

Texte de Marc.

Vesseaux 2017

La valise

Juillet 1957. Le petit Jean-Claude, mignon comme trois truffes a 10 ans. La famille part en vacances, faire la tournée des lacs, en Italie.

Cher lecteur, tu crois que les choses ont toujours été comme elles sont aujourd’hui, que l’Europe s’est faite en un jour, que les frontières n’ont jamais existé. Là, je t’arrête et je te dis : dans les années cinquante, l’Europe était une mosaïque de pays, de frontières et de douanes. On ne circulait pas librement. Voyager, c’était montrer patte blanche à chaque carrefour. Tu vas voir …

Revenons à notre petit Jean-Claude. Avec sa casquette bleue, son maillot rose, ses palmes vertes, son tuba jaune, il arrive au lac Majeur. Il est émerveillé, ses grands yeux s’étonnent, ses petits pieds frétillent. Il joue, il se baigne … Il est tellement heureux qu’il en oublie la réalité. Résultat : sur la plage, le soir, il égare la sacoche qui contient… sa carte d’identité ! Le lendemain, au moment de repartir vers la France, on s’aperçoit de cette perte. Voilà le petit Jean-Claude devenu apatride ! Il ne peut pas rentrer en France ! Que faire ? La famille est pressée : le père doit être au bureau le lendemain. Pas question de remplir un tas de formalités… Alors la mère vide la grande valise, celle que l’on attache sur le toit le la Citroën 4 cv. Quelques kilomètres avant la frontière, on y met le petit Jean-Claude, recroquevillé et l’on replace la valise sur le toit. Jean-Claude proteste, pleurniche, dit qu’il a faim. On le fait taire. On lui promet des tripes et de la truffade s’il reste sage. A la douane, la Polizia est sur les dents : on a annoncé des français voleurs de champignons ! Elle fouille la 4cv, visite le châssis. Rien. Feu vert. La famille passe. Plus loin, le petit Jean-Claude est délivré. Il s’était endormi dans la valise ! Il ne se souvient de rien … De rien ? Sauf du dîner promis ! Alors il avale tripes, truffade, tripoux, truite, tourte, trèfle, trognons, tranches, trompettes … C’est trop ! Il vomit tout le lendemain.

La carte d’identité n’a jamais été retrouvée. Elle serait actuellement utilisée par un escroc qui sillonne l’Europe et organise des paris truqués sur le Tour de France !

Texte de Stéphane

Vesseaux - 2017

 

Maurice

Les yeux grands ouverts,

La rétine blanche,

Il s’approche de sa chaise,

A tâtons.

Rencontrant sur son chemin

La froide et lisse table de formica,

Striée ici et là par l’usage.

S’appuyant sur cette familière surface,

Mainte fois explorée, il repart.

Son genou butte dans les chaires molles,

Des flancs gras et accueillants de son labrador.

Habitués aux approximations de son maître,

Le chien ne bronche pas et se laisse caresser ;

Le pelage rendu un peu rêche,

Par ses années à servir et à se faire câliner par les passants.

Maurice sait qu’il n’est pas loin

Mais craint les obstacles qui jonchent le sol,

Jouets laissés ici et là par ses enfants

Et qui, tant de fois,

Lui ont fait explorer, douloureusement,

De tout son corps,

Le sol de cet appartement.

Sa tête à quelques séquelles

De rencontres qu’il aurait préférées éviter.

Maurice trouve enfin le dossier doux et rassurant

De la chaise de son bureau,

Toujours bien rangée : il a besoin de repères.

Il saisit le lourd volume d’un livre

Et, les yeux au ciel et le visage plein de joie,

Il lit.

Ses doigts dansent à une vitesse vertigineuse,

Effleurant les creux et les aspérités

Qui lui rendent la vue.

Il aime cette caresse sous ses doigts de fée

Il aime ses mots qui remontent à travers

Ses mains, ses bras, ses épaules,

Pour rejoindre le chemin

De ceux des voyants.

Texte de Sabine

Libin - 2018

 

Coup de balai

 

Il est 5 h du mat', debout Mohammed!

 

Ma journée commence déjà "Allah Akbar". Les enfants, vite une bise en français (faut qu'ils s'intègrent) et à moi, gants de caoutchouc, pelle et balai.

 

Eh oui, maman dans ton Maghreb, tu le voyais sauver des dents, ton fils béni. 

Eh non, maman, les crasses des autres, il les ramasse, ton fils maudit.

Moi, le maudit, ce n'est pas vrai. Tout est question de proportion. 

 

La Mer damnée, l'ai traversée c'est toujours çà. Certains sont morts, eh bien, moi pas.

 

 

Pas de palabre, c'est l' temps d'agir: 10 km de gadoue, mégots mouillés, canettes piétinées, papiers jetés.

 

Dans le clair obscur, je les entasse des débris de vie, c'est Dégueulasse. 

 

En fin de journée, j'y repasse c'est à refaire pour le lendemain.

 

De temps en temps, v'là mon copain, il est tout noir, l'est soudanais, c'est encore pire.

 

Et à 5h, c'est la mosquée où nous v'là tous rassemblés, les éboueurs, les infirmiers et les dentistes, il y en a.

 

Et à 5h, faut résister aux discours des initiés. Certains sont bons, d'autres nettement moins. 

Faut pas me prendre pour un crétin. Je les aime bien les Belges du coin.

 

Et à 20h, c'est le couscous, saveur d'antan et du terroir.

 

21h, leçon de français car moi aussi veux m'intégrer.

 

Puis, c'est dodo sans faire de gosse. J'en ai déjà  plus qu'il n'en faut, faut pas charrier.

 

Dans mon dodo, je vois l'Atlas, mes rêves d'enfant peuplés de dattes et de thé menthe.

 

Demain matin, je les ramasse les immondices du lendemain.

 

Demain matin, je le promets, j'irai m'inscrire au cours du soir, et je souris de toutes mes dents.

 

Un jour peut-être, je les soignerai, les dents des autres. Et ma maman dans son Maghreb, 

ma mère enfin l'aura retrouvé: son fils chéri a REUSSI!

Texte de Thierry

Saint Privat- 2017

 

Premier degré

 

Gérard m'a donné rv à 9 h pétantes, c'est qu'il y a du boulot aujourd'hui: des lampes à réparer, des douches bouchées, la pelouse à arroser,...

Je commence par la pelouse. Je croise des gens concentrés sur une feuille de papier, qui écrivent. Certains ont l'air inspiré, d'autres moins. Je voudrais bien savoir ce qu'ils griffonnent mais je n'ose pas leur demander.

Un peu plus loin, je salue d'autres personnes, un baguette fourchue à la main, orientée vers le sol. Des sourciers ? Je ne comprends pas bien. J'ai envie d'en interpeller un: "Vous ne savez pas qu'il y a l'Ardèche à 10 mètres de vous et la piscine de l'autre côté !". Mais là encore, je me ravise.

Dans la pagode, il y a des gens qui pleurent. Je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille et d'écouter une personne qui raconte son passé et à chaque sanglot, elle met un caillou dans un sac poubelle.

Où suis je tombé ?

Je m'éloigne car quelqu'un m'a repéré et commence à me faire les gros yeux.

Je dois aller m'occuper du portail qui donne sur l'Ardèche et là, ça chante. Je reconnais des airs célèbres: "Z'avez pas vu Mirza, la la la la la". Sympa ! Sans doute des nostalgiques des années 60. Parmi eux, un troubadour, amorce une chanson, je ne comprends pas très bien les paroles car il ne chante pas très fort, mais la musique est belle. Ça doit plaire au groupe car tout le monde reprend en coeur.

Je me dirige maintenant vers une salle proche de la piscine, je dois nettoyer une baie vitrée. Mais elle est occupée par un groupe. Une dame au cheveux longs, au regard sombre, qui semble s'être fâchée avec son peigne, ce matin, explique comment nettoyer les feux de gaz, les plaques à induction et les fours. En fait, il faut réciter 4 phrases et "ça décolle les mémoires bien cachées qui sentent mauvais comme de la graisse froide". Une de ces phrases est "Je te pardonne". Elle conseille aussi de récurer ses toilettes avec "Hoponono". Ça doit être une nouvelle marque de nettoyant et cette dame, une représentante en produits ménagers. En partant, je passerai à Casino, demander s'il commercialise ce produit miracle, bien que j'ai du mal à me projeter en train de nettoyer une baie vitrée tout en répétant sans cesse "Je te pardonne".

Où suis je tombé ? Chez les fous ? Gérard aurait pu me prévenir, quand même !

Je me rabats sur le bâtiment central. Dans une pièce à la porte entrouverte, je reconnais celles et ceux qui écrivaient dans le jardin. Je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille: chacun à leur tour, ils lisent leur prose, il doit avoir des étrangers car ils ne parlent pas tous français. Il y a une dame qui raconte un mariage, apparemment, un problème avec un traiteur qui l'a lâchée au dernier moment. Il y a aussi des poètes dans le groupe. Ça me rappelle ma classe de 3ème lorsque nous travaillions sur les romantiques.

Ma matinée se termine, en partant, je recroise Gérard. Je m'autorise une question qui me brûle les lèvres: "c'est qui tous ces vacanciers ?". Il me répond " Des personnes en voyage dans leur jardin intérieur". Tout à coup, un sentiment de panique m'envahit et je pars en courant en abandonnant mes outils sur place.

Mon contrat avec Gérard se termine à la fin de ce mois. Je ne pense pas que je le renouvellerai.

Texte d'Elise

Vesseaux- 2017

 

-Taratata, dit Titoune, tu touines ou tu tousses, tu as tout à fait raison, me dit-elle. Tu as tout compris, j’irai à Tataouine avec Toutapied et Toutafait pour tarauder et titiller tusaisqui.

-Mais n’oublie pas Tusaistout. Passe par Turlututu ; et prends moi du Tabasco. T’arrête pas à tirawana, il y a trop de tintins, de tireauflanc, de tchougs. Va directement à Toutaville. Tu seras arrivé à Doutuviens.

Texte d'Angéline

Saint Privat - 2017

 

Je me tiens là, debout au milieu du carrefour.

La nuit farouche s’est sauvée devant le jour mais j’en ai rien à foutre.

Moi mon rêve s’est éteint après le chant du coq.

 

La sale nouvelle m’inonde, martèle dans ma tête fébrile.

Cette enveloppe qu’elle a glissée sous ma porte à l’heure où ça crisse au pays des grillons.

 

L’église sonne 15h00. Des volets s’ouvrent mais pas les siens.

 

Qu’ils les ouvrent leur volets, j’en ai rien à foutre. Je le vois bien que je les dérange pendant la sieste. Est-ce qu’il le savent qu’un rêve ça se froisse ?

 

Elle a cacheté des paroles d’encre sous ma porte et moi sous sa fenêtre j’attends des mots, pas un fichu papelard, pas un courrier. Un courrier c’est bête et méchant, ça se lit et ça se relit alors parfois ça fait bien mal.

Est-ce qu’ils le savent qu’un petit bout de papier ça vous déchire l’âme ?

Han, ça, j’en doute. Hé béh tant pis, J’en ai rien à carrer de leur sieste. Je hurle si je veux.

 

Ah ! Tiens, la mère Grenouille, il ne manquait plus qu’elle avec son châle bleu frileux. Toujours la bible serrée entre les griffes. Ah ! Elle a l’œil celle là ! Et elle a le verbe aussi. Mais pas le verbe « aimer ». Celui-là elle a pas appris à le conjuguer. Y’a qu’à entendre ce qu’elle raconte sur les uns et les autres. Oh et puis j’en n’ai rien à foutre de ce qu’elle raconte. Je hurle si je veux tiens :

 

« Nathalie »

 

Je t’entends Silence, toi aussi tu me balances ce nom délicieux. Tu sais pas comme ce prénom m’entête. Je le connais depuis que je l’ai vue… et je l’apprends, je me le répète, je le radote, je me le crie du cœur « Nathalie ». Qu’est-ce que c’est jolie.

 

C’est pas comme la Grenouille bénite. Et pourquoi elle me regarde comme ça hein ? Qu’est-ce que ça peut lui foutre que je me plante à poil au milieu du carrefour ?

 

Et vas-y, encore un volet qui s’ouvre. Ha ! Cette fois c’est le Jeannot. Il a l’air inquiet. Là c’est pas pareil. Lui je sais, je l’ai vu la regarder à la boulangerie, Nathalie. Lui et aussi le boucher, le garagiste, le pharmacien, le notaire et même le curé venait tout seul chercher son pain. Je l’ai grillé le curé, les yeux dans le péché, ouai. Si sa soutane était en bronze on aurait entendu sonner un joli carillon.

 

Il faut dire que c’était une bonne pate Nathalie, donnant de sa personne. On en passait des heures dans cette boutique en rang comme des glands à attendre que son rire croustillant secoue ses miches généreuses.

Texte de Claire

Libin - 2016

 

Il gazouille, il babille, ce bébé dans ce berceau.

Brave bébé, bébé fait des bulles.

À un mois à peine, mère veut bien le confier malgré le manque de maturité, malgré que ce soit sa moitié et qu’il ait besoin d’être materné.

Confié à cette autre madame, mon dieu magnifique femme. Choisie en l’an mille neuf cent soixante-trois pour merveilleusement magnifier la mère Marie dans cette crèche. Mythique tradition de Liège, le mémorial commença.

Mais cette magnifique dame fait-elle attention à moi ? Dans cette foule fanfaronne, fatigué, je cherche farouchement son regard.

Puis je la vois vers moi se tourner, ce sourire me murmurer et m’émerveiller ensuite bien des années.

Texte d'Elisabeth

Saint-Privat - 2018

Et si je disparaissais de ma vie pour en épouser une autre ?


J’imagine mille scénarii, tous plus plaisants les uns que les autres. Peut-être trouverai-je une petite maison en Irlande, au bout des étendues vertes, au bord de la falaise qui me rappellerait que le vide dans une vie peut être beau ? Dans la perspective d’avoir pour seuls interlocuteurs des moutons intrigués, j’emmènerai Diego, mon compagnon à 4 pattes, qui me répond de ses yeux baignés d’amour. Parfois, je l’entends même me parler, vous voyez, je mérite bien d’être exilée sur ce bout de terre isolée ! Je passerai mes journées à contempler l’océan, sans nulle attente, contrairement aux femmes de marins qui connaissent par cœur le reflet du bateau revenant de longs jours et nuits de pêche. Et je pourrais courir les champs et écrire consciencieusement le temps qui passe. 
Et si je partais rencontrer les lamas ? Mais je devrais choisir entre ceux de Pantagonie ou ceux du Tibet. Les uns comme les autres parlent peu, ça me va. J’aime ces longs moments de silence. Est-ce le bruit et le tumulte que j’imagine fuir ? Pourtant j’aime danser avec la musique à fond. Et si j’allais à Buenos Aires vibrer sur un tango argentin ? Emmenée dans des bras inconnus au cœur d’une simple sensualité. La sensualité, c’est bien beau mais c’est peut-être le temps de faire chanter mon féminin sauvage. C’est décidé, j’irai près des chamanes amérindiens cueillir sous la nuit étoilée ma part animale. C’est tentant. Le feu, les chants, les danses enivrées des tambours et le lien à la terre, si sacrée. Et pourquoi ne pas écouter Brel et laisser couler ma vie aux Marquises ? 
Devoir choisir, quelle drôle d’idée !!! En réalité, nos voyages intérieurs nous font vivre mille vies dans une seule, non ? 

Texte de Véronique G.

Saint Privat 2017

 

Cette photo ne me quitte jamais, toujours tapie au fond de mon portefeuille, déclarai-je au journaliste venu m’interroger pour la sortie de mon livre, souvenirs d’Afrique.

Une photo prise lors de mon séjour à Pitie, en Afrique Australe, il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui j’ai 50 ans et j’ai eu l’envie d’inscrire sur des pages blanches, ces instants d’émotions que j’ai pu partager avec ses enfants, particulièrement avec l’un d’entre eux, Sépharin.

Je sortais d’une déception amoureuse et je voulais m’expatrier à l’autre bout du monde. L’Afrique s’est imposée à moi, éternellement attiré par sa beauté sauvage et son mystère exotique.

Lorsque je fais la connaissance de cet enfant, son regard malicieux m’interpelle, un regard qui n’a pas froid aux yeux.

Sur la photo, il est en compagnie de son ami Zébou, de sa petite sœur Maya. Cachée là, derrière lui ! On ne voit que ses yeux pétillants et son nez retroussé. Et encore derrière, se trouve son ami Merou.

Le journaliste m’écoute sans interruption. Je continue donc mon récit.

Tout au long de mon séjour, je constate que leur amitié est indestructible.

Quant à moi, je me connecte directement à Sépharin, où est-ce-lui qui se connecte à moi ? Allez savoir !

Lors de notre première rencontre, je ne dis pas un mot. C’est lui qui vient vers moi. Il me regarde simplement, comme s’il peut me lire tout entière, et me dit :

Rendez-vous demain, à 7 h, près du baobab qui longe le chemin.

Puis il part. Etrange que cette apparition éclaire.

Puis je commence à ressentir la fatigue, normal, après un tel voyage, et je vais me coucher. J’ai quand même du mal à m’endormir !

Au matin, je me demande si je vais au rendez-vous. Je pense ne pas risquer grand-chose. De toute manière, je n’ai rien de plus palpitant à faire.

Je rejoins donc Sépharin. Et c’est là que je le vois, en compagnie de ce majestueux animal qui me glace le sang : un lion !

Texte de Marie-Christine

Libin 2018

 

On vient de me plonger là

Ma nouvelle habitation fait environ 38 cm3

Quelques constructions

mais pas de compagnon

 

C'est en tournant en rond

que je découvre la maison

Colorée, géométrique,

je dois être dans les années 70

Par contre, je me croirais dans un frigo

Tellement il ne fait pas chaud

 

Quelques miettes par ci

Quelques bulles par là

L'occasion de voir mes propriétaires de plus près

Bien que tout déformé

Par l'eau de mon bocal

ou par celle de leurs larmes

 

ça m'a pas l'air d'être bien gai

bien qu'il y ait

le petit poste toujours branché

A moins que ce ne soit pour s'évader

de cette insoutenable réalité

 

Même l'air semble polluée, vissée

Qu'il est dur de respirer

Surtout ne pas broncher

Ne pas bousculer

cette pseudo harmonie, fragile

pas moins agile.

Texte de France

Libin - 2019

Le temps de vivre disais-tu… Toute ma vie j’ai vécu dans ton ombre , attendant le miracle d’un événement, d’un réveil enchanteur, d’amour , de tendresse. Comme un poisson rouge, j’ai tourné dans ta maison. En bonne femme d’intérieur : ta maison je l’ai chouchoutée. Les rares personnes nous visitant l’ont trouvée accueillante, bien propre, bien ordonnée, bien rangée. En silence, je t’ai cuisiné tes plats préférés accompagnés d’une bonne bouteille « Grillon vert », un rosé de ton choix. Un jour tu es parti … sans un mot me laissant seule sans enfant. Tout ce que je n’ai pas vécu se trouve là dans ce baiser sur un banc.

Texte de Liliane

Libin 2018

 

De tout son cœur

Jenny est partie fringante, enthousiaste, sac à dos et Pataugas pour un périple de 2000km de Gand à cette petite ville perdue au fond du Portugal.

C’était pour une bonne cause. Tout avait été prévu : l’itinéraire, les étapes, le ravitaillement, le matos en cas de pépins.

Elle a pédalé. Le cœur y était.

Quand les premières crampes lui ont scié les mollets, elle a pesté, râlé, soufflé. Elle a continué à pédaler. Le cœur y était.

Puis, elle a crevé dans le gravier, elle a tout remis en place. Elle est remontée en selle, elle a repédalé.

Il faisait chaud, elle transpirait, a cru que le soir ne viendrait jamais mais elle pédalait, le cœur y était.

Un repas frugal, une nuit de repos, elle a mal dormi. Elle est remontée en selle, le cœur y était encore. Elle pensait aux enfants qui, grâce à elle, seraient un peu choyés.

Après 3 jours, elle avait mal aux fesses, son arrière train s’enflamma jusqu’au furoncle.

« C’était encore loin le Portugal ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’elle allait foutre là-bas. Elle aurait pu simplement aller de Gand à la mer du nord ! »

Mais elle continua à rouler, courageusement.

Heureusement, il y avait toujours des descentes après le calvaire des montées.

Vingt fois, elle faillit abandonner. Elle souffrait, mais le cœur y était.

Quand enfin, elle a vu la mer au Portugal, elle s’est arrêtée de pédaler.

Elle s’est couchée sur le sable.

Elle y avait été de tout son cœur.

Texte de Corinne

Saint-Privat- 2018

 

J' exerce le métier de fantôme


J'exerce  le métier de fantôme! c'est ce que dit de moi mon père quand on le questionne sur ce fils qu'il ne connait plus.
Mon crime ? Avoir  dérogé à la tradition familiale attestée par les portraits d’aïeuls pendus  dans le hall d'une maison qui n'est que désert sans amour .Tous,  ils sont partis  la fleur au fusil, oubliant  leurs femmes ,et ,au cimetière, leurs noms sont gravés dans le marbre pour  s'être mis  mis au service d'un  pays .
Moi depuis l'enfance mes rêves étaient tout autres. Quitter  ce néant ,  écouter la musique du vent , celle de la brise, suivre la pente qui mène en haut de la montagne et dans le silence  de la nuit, sous la lune, croire alors à la possibilité d'un dieu.
J'y ai ma maison, elle m'abrite des déluges des pluies d'orages, son unique fenêtre est cachée par la neige en hiver.
A mon réveil je vais pieds nus  dans la rosée.  Pour veiller sur mon troupeau  j'aime me tenir sous le vieil arbre qu'un éclair un jour a blessé . 
J'ai pour compagnons de petites figurines que je sculpte avec mon poignard, dans le bruissement des insectes et des grillons.
Plus bas il y a cet océan de nuages qui me cache les événements de ce monde que j'ai laissé , désert de fumées d' où monte la plainte  d' hommes  sans visage  qui suffoquent comme des poissons jetés sur la terre par les pêcheurs. 

Texte de Julie

Saint-Pivat - 2018

 

Été 1940. Dans la touffeur des blés murs, Lucille attend. Elle attend que Paul revienne. Mais Paul est parti à la guerre. Alors elle attend. Elle attend de ses nouvelles. N’en a plus depuis trois mois. A-t-il été fait prisonnier ? Lucille ne veut pas penser au pire. Devant les épis gonflés, les fruits dorés, elle veut vivre et espérer. Lucille parfois vacille, la peur s’approche d’elle à pas feutrés, elle marche sur des coussinets. Elle la laisse approcher, la caresse  pour l’apprivoiser. Elles ont appris à se connaître. Lucille n’est plus effrayée par l’ombre de sa peur, elle sait qu’elle va finir par s’en aller. Au fond de son cœur pétille l’espoir, elle le sent grandir dans le nid de sa chair. Alors elle s’enfonce plus profondément dans le champ de blé. Les coquelicots se penchent sur son passage pour la saluer. Lucille sourit. Ces trois coquelicots-là, c’est un signe de Paul : ses fleurs et son chiffre préférés ! Sous le ciel d’été, la joie renaît. La guerre finira bien par s’en aller, elle aussi.

Texte de Geneviève

Saint-Privat - 2018

 

Il était assis dans un coin du tramway, enveloppé dans son manteau, enroulé sur lui-même malgré la chaleur ambiante. Le syndrome du manteau de fourrure au mois d’août comme aurait dit ma psy. Ils sont si nombreux les clodos en errance sur les trottoirs des villes ou les bancs de métro.
Pourquoi mon regard s’attarda- t-il sur lui ? 
Simplement parce qu’il était dans mon champ de vision et que je laissais pour une fois mon cœur , mon regard et ma pensée  errer librement. 
A part le repli pathétique sur lui-même qu’il exprimait si fortement et son besoin de se réchauffer, fût-ce par temps de canicule, il n’avait rien de repoussant. On aurait juste dit un escargot rentré dans sa coquille. L’envie me prit de le faire émerger de son marais et de l’inviter à se désenrouler comme on sort un ver de son coquillage.
Ma pensée eut elle un effet vibratoire ? son regard sombre et bovin rencontra subitement le mien sans toutefois marquer la moindre réaction   
Je voulais de plus en plus faire jaillir une étincelle de cet abîme d’obscurité quitte à lui crever l’œil. J’aurais aimé être Jeanne d’Arc et lancer ma lance au fond de sa prunelle, ou peut être juste quand même dans son armure.
Tout éliminer de ses scories, vider ses tranchées du bric-à-bac accumulé toutes ces années , nettoyer la cale, passer tous ses vêtements et ses pelures à la machine à laver. Changer même ses sous-vêtements.En faire un être tout neuf, tout gaillard, tout vivant… 
    A cet instant, miracle, il se désenroula et sortit à la station Quai des Invalides. 
Non mais ! de quoi j’me mêle ? dit une voix en moi. 
Quand je pense que tous les personnages d’une histoire représentent une partie de soi-même , c’est moi qui rentre dans ma coquille ! 

Texte de Marie-Christine

Saint-Privat - 2018

 

Lorsque je repris conscience, le spectacle commençait. Nous étions dans les rues de Paris et les acteurs avaient pris place sur le trottoir d’en face. La pluie tombait sur les parisiens et les bruits de l’orage grondaient au loin. C’était d’ailleurs un véritable déluge qui se déversait sur tout le monde : homme, femme, enfant, sans distinction. Les plus chanceux étaient ceux qui portaient un chapeau pour se protéger, ou encore mieux ceux dont le corps était retranché derrière une fenêtre, d’autres avaient par miracle trouvé refuge sous un arbre. Donc, ce jour-là, tous attendaient cet événement, comme le pêcheur attend le poisson. Et oui, le rêve devait devenir réalité : la contrebasse avait accepté de renoncer à son lit douillet et calfeutré, et sortir de son silence pour nous bercer par sa musique envoûtante. Mais son imprésario avait beau l’abriter sous un grand parapluie, la contrebasse refusait de sortir. Nous percevions juste une plainte, comme une légère brise. Elle se donnait donc le choix de nous planter là, sans aucune compassion pour tout son fan club, dont les visages montraient leur déception.

 

Texte de Pierre-Jean

Saint-Privat - 2018

J'exerce le métier de fantôme. Mariée depuis à peine une heure je n'existe déjà plus. 
 
J'exerce le métier de fantôme. D'ailleurs j'en ai le costume, blanc, long, voilé. 
Mariée depuis à peine une heure je n'existe déjà plus. Je ne suis plus femme ni même épouse… 
Déjà il me dirige vers ce café restaurant sinistre. Un bistrot plutôt aux rideaux blancs, déguisé en fantôme tout comme moi. 
Un bistrot, pas même un hôtel où passer notre nuit de noces, un lit accueillant ce qui devait être notre amour, nos corps et nos cœurs enlacés. 
Pas même un banquet. Juste une bouteille de rosé posée au coin d'une table, d'un guéridon de marbre ou du comptoir en zinc. 
Juste 2 verres vidés en un éclair au milieu d'inconnus flottant dans la fumée des gauloises et des gitanes maïs.
A peine ai-je dis OUI que maintenant je veux dire NON. Lui dire NON, dire NON au coup de poignard qui fait saigner mon cœur. 
Ils se marièrent furent heureux et eurent beaucoup d'enfants; tu parles d'un miracle, un mirage oui... 
Mon cœur est en hiver, mon cœur devient désert, mon cœur est un cimetière.
J'exerce le métier de fantôme…. 

Texte de Myriam

Libin 2018

 

Furanne je fut , tant j’ai fuit,

Epagnelant l’aigremoine

Jumelant les jusquiames,

Ecartelant parfois la nuit.

 

Vademanque en manque

Grégarine et t’éloigne

Avant que de muser les âmes,

D’oser les sycophantes ,

 

Et de frouer la vigne.

Fuschine mantelée,

Hélépole amaurose,

Toutes m’ont menées au signe

 

D’un amour hébéphrène

Où rebouisent , enlacées

Tes mains au sang des roses

Périssant sous l’abstème .

Texte de Marie-France

Libin 2018

 

Antoine a souvent rêvé d’une belle inconnue qui partagerait son goût de la poésie. Chacun sait que la poésie nous emmène là où nous n’aurions jamais pensé aller, dans ces recoins de notre être que nous ne connaissons pas encore. Cette nuit-là, Antoine, dans un songe qui le trouble, voit la belle inconnue frapper à sa porte. Muet, il l’invite à entrer, lui montrant le fauteuil de velours vert qui lui tend les bras. Ils ont le sentiment étrange de se connaître depuis toujours. Dans la maison baignée de livres, la belle inconnue ouvre délicatement celui qui repose sur la petite table de hêtre : « Le pays derrière les larmes ». Elle l’ouvre au hasard. Elle hésite à lire à voix haute le poème. Elle ose pourtant. Antoine est ému par cette voix cristalline, il ferme les paupières. Elle murmure le dernier mot du poème. Après un long moment, Antoine ouvre les yeux. La belle inconnue a disparu.

Texte de Sabine

Saint Privat - 2017

 

La page blanche

 

Aujourd’hui c’est marée basse

Tout au loin, les idées nous narguent

En vagues lignes blanches

 

A quelle heure la marée haute ?

On regarde la plage

Dégagée, trop large et si vide

Coquillages et petits crabes

Que l’on évite et qui distraient

 

A quelle heure le ressac ?

Des rouleaux d’écume remplis de mots

Des flots en vrac

 

A quelle heure la montée ?
Des phrases inspirées

Des voix du vent

La mer qui gronde, le rire des mouettes

 

A quelle heure pour la mer ?

Pour se saouler, pour s’enivrer

De bonnes idées

Ecrire « on », c’est quel bateau ?

On se dit « hein ? », c’est quelle plume de ces oiseaux ?

 

Et cette feuille comme cette plage

Nous désespère

Texte de Jean-Pierre

Vesseaux - 2019

 

Les cailloux du chemin roulaient sous les sabots de Madeleine. Elle se dépêchait, elle avait une heure, une heure seulement avant de devoir rentrer.

C’était la Saint Jean. Et comme chaque année, c’était aussi la fête du village. Cette année était spéciale, elle venait d’avoir 15 ans.

« Tu pourras aller danser à la fête » lui avait dit son père. Ça signifiait aussi, tu es bonne à marier, il faut commencer d’y penser. Du reste il avait ajouté : « Tu devrais peut-être inscrire le Jacques du Boultier dans ton carnet de bal. »

Venant de son père, ce genre de remarque était à prendre au sérieux et Madeleine s’était bien promise de saluer Jacques, qui, de son côté, l’inviterait aussitôt à danser. Il était bien évident que les pères s’étaient parlé à ce sujet. Rien de vraiment définitif mais une allusion peut-être au croisement d’un chemin.

Madeleine pressait le pas en faisant voltiger les cailloux du chemin. Elle tenait à la main la paire de bottines qu’elle ne devait mettre qu’à l’entrée du village pour ne pas les user sur le chemin. Elles étaient 5 filles et 6 garçons. Sur une ferme de 4 ha à peine, ça faisait beaucoup de bouches à nourrir et il n’y avait simplement pas d’argent pour acheter des souliers à chacune. C’est ainsi qu’il n’y avait qu’une paire de chaussures pour les cinq filles. Enfin les trois plus grandes, car les deux autres étaient encore trop jeunes pour aller danser. Il n’y avait aussi qu’une robe pour aller danser. Elles devaient donc aller danser à tour de rôle en se prêtant la robe et les souliers. La plus jeune commençait en milieu d’après-midi et les autres par ordre d’âge. La plus âgée fermait le bal, comme on disait.

Madeleine avançait vite car elle n’avait qu’une heure pour danser et le village était à presque quatre kilomètres de la ferme.

Peu à peu, sous le chant des oiseaux, Madeleine percevait comme un frémissement de l’air. Puis elle distingua les notes graves de la musique qui lui arrivait par saccades comme si la musique hésitait. Puis après le dernier tournant en entrant dans la rue principale qui menait à la place du village, la mélodie entrainante des violes et des violons la frappa de plein fouet. Que de monde ! Elle avait l’impression de ne connaître personne. Elle s’arrêta et chercha des yeux un endroit sûr et discret pour laisser ses sabots. Par-dessus la haie de son jardin, la vielle Céline la remarqua, elle l’appela et lui fit signe qu’elle pouvait les laisser derrière la haie. « C’est la première fois, hein ? » lui demanda-t-elle. C’était plus une affirmation qu’une question. Mais Madeleine était pressé et se contenta de remercier. Elle fit quelques pas maladroits car elle avait bourré de paille les bottines un peu trop grandes pour elle. Avec un peu de paille en moins, sa démarche était plus stable. Alors timide mais courageuse et curieuse elle s’approcha de la piste de danse. Quatre violes et trois violons jouaient. La poussière volait sous les pas des danseurs et des danseuses.

Elle avait quatre noms sur son carnet de bal. Des garçons qui lui avaient crié dans les semaines précédentes en la croisant sur un chemin ou par-dessus une haie pour ne pas interrompre leur travail. « Hé ! Madeleine, tu vas à la fête cette année, hé ! Inscrit moi sur ton carnet de bal, j’y serais moi aussi. » Docile Madeleine avait acquiescé. En fait, elle n’avait pas de carnet de bal, c’était juste une manière de parler, comme les nobles du château, on ne gâchait pas du papier pour de telle futilité. Madeleine avait simplement la liste en tête. Quatre noms, ce n’était pas trop compliqué : Paul, Lucien, Emile et le Jacques du Boultier.

C’est Lucien qui s’avança le premier. Madeleine lui sourit heureuse de rencontrer quelqu’un de connaissance dans tout ce monde. « Tu aimes la bourrée » lui demanda-t-il. Elle dit « oui », elle pensa « non » car elle ne savait pas vraiment danser. Elle s’était juste un peu entrainer les derniers jours avec sa sœur ainée. Lui non plus du reste ne savait pas danser. Il arpentait davantage les chemins pierreux que les pistes de danse. Il lui marcha sur le pied et s’excusa. Elle lui donna un coup de pied dans la cheville et s’excusa aussitôt. Il lui sourit. Elle se sentit bien. Après deux danses ils se séparèrent, il ne fallait pas faire jaser. Trop danser avec un garçon déclencherait les commentaires.

Tout autour de la place il y avait des tables sur tréteaux et les gens étaient assis sur des bancs les uns à côté des autres. Madeleine remarqua que les gens se mélangeaient un peu. Le marchand de vaches offrait à boire à des paysans qu’elle ne connaissait pas mais qu’il avait dû un peu voler le reste de l’année. Le boulanger était assis avec le boucher et le maître d’école, un pichet de vin entre eux. Sur une table voisine des femmes parlaient, en jetant des petits coups d’œil sur la piste de danse. Elles semblaient partager un gâteau ou plutôt une tourte pensa Madeleine. Quelqu’un lui toucha le bras, c’était Emile. Madeleine avait acquis un peu d’assurance. Elle s’aperçut qu’Emile ne savait pas du tout danser. Dans la gigue il se tournait du mauvais côté et venait la bousculer par derrière au lieu de la faire passer devant. Elle rit un peu trop fort, un brin taquin. Emile rougit et s’écarta. « Ne sois pas benet » lui dit-elle. Mais il haussa les épaules et s’éloigna. Il n’y eut pas de deuxième danse. Pas grave, pensa Madeleine, il m’en reste encore deux mais après je dois rentrer, déjà.

Et tout d’un coup, elle se retrouva face à face avec un garçon inconnu. Il n’avait pas l’air d’être un paysan mais pas non plus un monsieur de la ville. Il ne lui demanda pas si elle voulait danser. Il la prit par la taille en disant : « J’aime beaucoup la valse musette, viens vite ». Elle se sentit entrainer dans un autre monde. Elle ne connaissait pas la valse qui commençait à se rependre dans les campagnes, mais elle se sentait guider par un bras ferme qui lui enserrait la taille et par une main large plaquée au bas de son dos. Il lui avait pris la main droite et la faisait virevolter au rythme de la musique. Tout le village tournait autour d’elle. L’église, le presbytère, le café, le boucher défilaient en une ronde sans fin. Mais au milieu, fixe comme le centre du monde, ce visage inconnu qui la regardait avec des yeux malicieux et un sourire amusé. La musique s’arrêta, Madeleine inspira comme si elle sortait de l’eau après un plongeon. «  Je m’appelle Fernand » dit-il « du moulin du Chatelet ». Devant son regard interrogateur elle dit «  Madeleine du Breuil Bourguoin ». «  Alors allons-y Madeleine » et il la saisit de nouveau et l’entraina dans la bourrée que venaient d’entamer les musiciens. Puis il y eut une polka, une gigue, une autre valse et la cloche de l’église sonna quatre coups. Madeleine eut un sursaut. « Je dois partir » murmura-t-elle et elle se mit à courir vers la sortie du village. Elle était en retard et en plus elle avait manqué à toutes les convenances et elle n’avait pas dansé avec le Jacques du Boultier. Elle préféra ne pas penser à son père … tant pis, pas maintenant, pas encore. En remettant ses sabots elle jeta un regard en arrière. Elle le vit au loin. Il lui fit un signe. Elle n’osa pas lui répondre sous le regard inquisiteur de la vielle Céline. Ça allait jaser … tant pis, pas maintenant, pas encore.

A quelques centaines de mètres du village elle reconnut sa sœur qui venait à sa rencontre. « Tu es en retard ! » lui dit Agate. Madeleine s’excusa prudemment, Agate avait la main leste et la gifle facile. Elles se cachèrent derrière une haie pour échanger la robe contre le tablier gris de tous les jours.

Madeleine se retrouva seule sur le chemin, elle marchait maintenant doucement. La musique tintait sporadique comme si les musiciens ne jouaient que la moitié des notes. Puis le chant des oiseaux domina de nouveau. L’air sentait bon, l’air était doux. Madeleine se sentait légère. Elle rêvait. Un moulin … meunière dans le moulin de Fernand … ça serait bien, mieux que cette terre ingrate. Le reverrait-elle ? Un doute l’assaillit, le Chatelet s’était loin ! Presque 20 Kilomètres !

Texte de Véronique F.

Saint Privat 2017

 

Le bois et la terre

 

Le bois et la terre

Émanation d'humus

Odeur des origines

Fragments de vie en décomposition, en recomposition

 

Résineuse et terreuse

Une mémoire odorante

Qui creuse les sillages du cœur

 

Souvenir olfactif

De l'amant furtif

Qui dévale l'escalier

Encens et oignon mêlés

Cocktail parfumé de son antre

Guerlain lointain posé sur son torse imberbe

 

Sensation étrange

Cette résineuse odeur

Tubéreuse et écorceuse

J'en deviens ensorceleuse

Le nez fiché dans l'écorce de ce cèdre.

 

Le bois et la terre

L'empreinte éphémère

De la vie qui passe

Le parfum enivrant de l'instant

Qui chatouille, qui ose se faufiler là où on ne l'attend pas

Loin du nez, il s'infiltre par les pores de la peau

Jusqu'aux profondeurs de notre cerveau

Pour nous faire vibrer, encore, des fragrances de l'enfance

 

Sentir l'inodore

Flairer le bon endroit

Là où le cœur peut s'ouvrir

Inspirer, expirer

En toute simplicité

Le bois et la terre

Texte de Nicolas

Vesseaux - 2018

 

Je regarde au loin. Ces collines verdoyantes qui s'enchainent presque à l'infini. On dirait l'arrière-pays niçois au printemps.  Et pourtant ce sont les monts ardéchois qui sont devant mes yeux. Mes yeux embués. Je m'appelle Carla. Carla Boyer. J'ai quatre-vingt-cinq ans. Je suis née à Aubenas, fille de Jean, négociant en vins d'Ardèche. Nous habitions à deux pas d'ici, route de Vals, dans cette maison aux volets verts, aux dessus de l'imprimerie Nouvelle. Notre maison existe toujours, je l'aperçois d'où je suis assise d'ailleurs. On perçoit encore quelques inscriptions délavées sur la façade. Les volets ont été repeints en bleu.
 
Je suis emplie d'émotions aujourd'hui car je me revois assise ici, cinquante ans en arrière jour pour jour.  C'est ce jour de printemps où ma vie bascula, où je tombai amoureuse pour la seule et unique fois de ma vie.
 
Il s'appelait Jacky. Jacky Fombon. Il était beau. Brun, la peau mate, élégant, il souriait toujours. A tout le monde. Tous les anciens d'Aubenas se souviennent aujourd'hui de lui parce qu'il donnait du bonheur au gens. C'était le soleil d'Aubenas.
 
Jacky était venu s'installer au rez de chaussée de notre maison au début des années soixante. Mon père lui avait loué ce local pour l'aider à monter son imprimerie. Jacky était passionné de beaux livres. Il était jeune lorsqu'il s'est installé, juste trois ans de plus que moi. Je n'avais jamais connu de garçons à cette époque. Timide et réservée, l'amour pour moi c'était pour les romans, les poèmes, mes rêves. Et puis il est arrivé. Et ma vie a changé.
 
Très vite, j'étais fascinée par Jacky. J'étais comme aimantée par lui. Pourquoi un si beau garçon pouvait-il être amoureux des beaux livres. On s'est vite pris d'amitié l'un pour l'autre. Nous nous sommes fréquentés, comme on disait à l'époque. On disait beaucoup de choses sur nous, derrière notre dos. Le soleil d'Aubenas et Carla la timide… ça ne collait pas aux yeux des autres.
 
Je me souviens de tellement de beaux moments qui nous ont marqués tous les deux.
 
Un fou rire rue Délichère, devant cette porte en bois au numéro 13, sous la dernière arche.
Nos courses effrénées en montant le passage de l'âne depuis le bas de la ville. Il voulait toujours être le plus rapide. Mais souvent c'est moi qui gagnait.
Nos moments solennels à écouter le curé le dimanche dans l'église Saint Laurent. J'essayais toujours de m'asseoir sur cette chaise à l'assise sculptée. On avait vérifié toutes les chaises de l'église, et c'était la seule avec un blason sculpté. Je n'ai jamais reçu d'explications de cette singularité. Même les différents curés n'ont jamais su.
Cet orage qui éclata alors que nous montions la montée de la Glacière. Nous avons dû nous abriter tant bien que mal sous ce figuier à mi-chemin de la montée.
 
Et puis ce baiser. Un baiser qui m'a habitée toute ma vie. Le seul baiser qu'il m'ait jamais donné. Ici. Sur ce banc. Je sens encore sous mes doigts la texture du bois verni. Je sens son souffle chaud, ses lèvres qui s'approchèrent de moi, mon cœur qui battait si fort. Et puis ce voyage hors du temps. Une seconde qui dura une éternité.
 
Soudain, comme pour nous réveiller de cet instant magique, les cloches de l'église Saint Laurent sonnèrent. 2 coups uniquement. Jacky devait retourner à son atelier. Sans réfléchir, il me regarda tendrement, comme pour me dire qu'il m'aimait. Il se mit à courir, pour traverser la rue jusqu'à l'hôtel Bellevue, qui est aujourd'hui le cinéma Le Navire. Il ne vit pas ce camion qui venait de la gauche.
Je me mis à crier, hurler.
 
Et depuis ce jour, je pleure tous les jours…
 

Texte de Rose

Saint Privat 2020

LE VISAGE DE LINE

 

Line a bien vécu , maintenant elle est âgée !

En plissant sa peau avec son doigt tout ridé

« Oh petit  !...mon œil ! » semble -t-elle s'indigner !

Cet œil gauche transparent et sa poche gonflée

Devait être clair dans sa jeunesse passée

Son visage creusé par des rivières de larmes

Ajoutent une profondeur lumineuse à son charme

Que d'inquiétants , terribles et frustrants mystères

Ces horreurs qu'elle avait connues pendant la guerre !

La cave , les sauve qui peut , les bombardements

Bourdonnaient à ses oreilles tels des grognements

Son jeune amoureux n'en n'était pas revenu

Ses lettres , combien de fois les avait-elle lues !

 

Line la rebelle .. avait du en faire des ravages !

Face aux déceptions ... et sans beaucoup d' illusions

La rêveuse demeurait sans colère , ni rage

Aujourd'hui ses amis l'appellent Line la sage...

Quand elle doit se rendre à un enterrement

Elle se tait , mais pense fort intérieurement

« Merci mon Dieu ce n'est pas encore pour cett' fois »

Chantant s'en retourne chez elle... non sans émoi !

« Par hasard , m'aurait-il oublié lui là haut ?

Attendez ... je ne suis pas prêt' pour le grand saut

J'ai encore envie de rire et de m'amuser

Prenez votre temps , je n'ai pas tout terminé... »

 

« Ecout' petit, ce que j'ai à te raconter ,

Va te paraître aussi simple que compliqué … :

Regard' la Nature , goût' de la Vie la saveur

Prends soin de tes amis et de leur amitié.

Tu comprendras , réalisant avec ton cœur

Que tu es seul responsabl' de ton bonheur..."

Texte de Christine

Saint Privat - 2020

 

Jeanne gardait cette phrase en tête, « tu fuis encore ». Leur conversation avait duré dix bonnes minutes mais non, « tu fuis encore » tournait en elle, elle ressassait. Elle s’interrogeait, est-ce qu’un départ est nécessairement une fuite, qu’est-ce qu’elle pouvait fuir ? Sans doute l’ennui et le trop à la fois. Elle avait entendu aux informations, les parisiens ou plus largement les urbains fuient les villes et rêvent de vert. Cette idée qu’elle agirait comme un groupe l’agaçait. Mais non Jeanne se rassurait, son envie était bien à elle, elle n’allait pas simplement se mettre au vert, elle allait quitter Paris, sa ville et s’installer aux Vals-les-bains. Ses amis, ses enfants lui disaient « c’est un coup de tête, c’est irréfléchi ». Elle n’aimait pas que tout le monde ait un avis sur ce qui est juste pour elle. « Tu aurais dû y aller à différentes saisons, louer et voir si ça te plait ». Tu aurais… oui Jeanne voyait que son entourage n’appréciait pas qu’elle décide seule, sur un coup de tête comme ils disent. Non pour Jeanne ce n’était pas un coup de tête, plutôt un coup de cœur.
« Tu fuis encore » lancinait dans sa tête, oui elle avait été blessée par ce encore. Elle comprenait très bien le sous-entendu de sa fille Laura, elle comprenait trop bien ce encore, il faisait écho à un « tu fuis » qui datait de vingt ans. Elle revoyait la scène dans l’immeuble Art Nouveau situé au 45 rue de la Convention, par un très agréable après-midi du mois de mai. C’était un dimanche, il faisait très beau mais toute la famille, Jeanne, ses trois enfants et son mari, étaient restés chez eux. Il fallait faire l’annonce. A l’heure du goûter autour d’une tarte au citron meringuée, les volets mi-clos, elle avait dit : « nous avons décidé de nous séparer ». Jeanne se rappelait aujourd’hui le regard que Laura lui avait lancé, sombre et accusateur, avant d’exploser en larmes et de courir dans sa chambre. Voilà à quoi ce « tu fuis encore » la ramenait.
Jeanne était contente de son coup de cœur pour cette maison ou plutôt ces deux maisons sur un terrain de 2000 m2 aux Vals-les-bains. Elle avait tout de suite été séduite par les photos, les maisons avaient été décorées avec soin par des artistes. Elle avait été séduite aussi par son accès direct à la rivière, la Valone, sa terrasse et toutes les vues sur la nature. L’idée qu’il y ait deux maisons lui plaisait, elle pourrait recevoir ses amis, sa famille.

Laura lui avait aussi dit qu’elle viendrait la voir dans dix jours. « Mais maman comment peux-tu acheter une maison sans nous consulter ? », bref elle était très remontée contre Jeanne. Laura était pourtant une jeune femme de trente ans, épanouie, une artiste elle aussi, une peintre. Jeanne ressassait « tu fuis encore » , elle avait un peu peur de la venue de sa fille. Elle sentait toute la distance qui s’était installée depuis vingt ans. A partir de l’annonce comme une feuille de verre s’était glissée entre elles, difficile à cerner mais des regards, des remarques. Jeanne sentait que Laura voulait la contrôler, elle qui n’en faisait qu’à sa tête. Laura arriverait le vendredi à 11h15 à Valence et Jeanne irait la chercher. Jeanne voulait accueillir Laura dans un lieu neutre, l’idée d’un déjeuner à Aubenas fit son chemin. Cela couperait toutes les réflexions sur cette ville thermale, pour les vieux, qui se la joue avec son Casino.
A Aubenas elles ne passeraient pas rue Charles Demars, elle se rappelait l’odeur pestilentielle d’urine quand elle s’était approchée pour admirer l’hibiscus blanche. Elle avait déjà déjeuner au bistrot de Manon à l’angle de la rue de la République, la terrasse bordée de jasmin était très agréable. Mais c’était peut être trop « comme il faut » pour Laura. Jeanne se rappelait aussi cet endroit assez magique, Le Salon d’Ann-Sophie où l’on pouvait aussi déjeuner. La terrasse était bordée de jasmin blanc mélangé à de la lavande bleue, des cyprès, des chevaliers d’onze heures multi-colores, fuchsia, rouge, jaune et des épinettes blanches. Cette terrasse ombragée, délicieusement fleurie, d’où s’échappait l’odeur de jasmin et de lavande serait l’endroit idéal pour accueillir Laura. Elles s’y rendraient après avoir jeté un coup d’oeil aux gargouilles de la rue Delichères. Jeanne espérait secrètement ne plus entendre « tu fuis encore ».

Texte de Jean-Pierre

Saint-Privat 2020

 

Ton visage…

Ton visage est un paysage de lune.

L’autre, c’est le soleil

Qui l’a buriné, plissé, ridé, Comme la moue dépressive d’un temps immesurable…

Tu fermes un œil, celui que ton index indique, Étonnamment raidi dans sa disproportion.

La paupière l’a clos, l’a plongé dans le noir D’où aucun regard désormais ne renvoie la lumière.

Ton autre œil est ouvert en amande parfaite Comme un lac de montagne où l’azur se reflète.

Au milieu des cailloux, des ravins,

Des couloirs de la nuit d’où surgissent des ombres…

Tes lèvres sont des chemins escarpés

Où de rares sourires s’accrochent

Avec une dérision sublime,

Irrévérencieuse et philosophique.

Apartés, chuchotis, étirement des heures où se taisent tes jours.

Précipices, gouffres, grottes étonnantes Enterrées de silences qui assourdissent mon âme submergée,

Étourdie d’amour et de respect.
 

Texte de Nadine

Saint Privat 2020

Josée a 86 ans. - José - prénom de son grand-père que l’on a féminisé. Comment ce brésilien s’est retrouvé en Meuse, mystère ! On sait simplement qu’il est passé par la Guyane, a vécu en Amazonie, puis s’est embarqué à Cayenne sur un cargot pour la France. C’était il y a très longtemps. Josée ne l’a jamais connu mais l’a beaucoup imaginé. Elle a ses cheveux dit-on, de grosses boucles, devenues blanches très tôt. Téméraire - encore son héritage - elle a fait une multitude de petits métiers sans jamais se fixer, mais sans jamais quitter le département, où depuis plus de 80 ans, on continue de lui demander d’où vient sa peau anormalement brune pour la région. Quand elle travaillait aux champs, ses ongles restaient propres, soignés, souvent peints pour allonger ses mains fines, jamais calleuses malgré le travail de la terre. Quand elle travaillait en usine, ses cheveux brillaient, ondulaient à chaque mouvement de tête, élégants et féminins. Ses seins généreux, son odeur de savon à la rose, son ventre arrondi, la rendaient rassurante, solide, donnaient confiance. Dans sa jeunesse, elle aimait danser, se coucher tard, séduire sans jamais dépasser le bornes. Elle savait se tenir. Marié à Raoul le maçon du village, elle ne l’avait jamais trompé même si elle en avait eu envie parfois. Son grand-père aurait, soit-disant, abandonné femme et enfants au pays et son mariage avec Jeanne, sa grand-mère, aurait été, selon les dires, de la polygamie. Josée n’y avait jamais cru. Elle ressemble à son aïeul et s’il s’était si mal comporté elle le saurait, le sentirait. Elle a maintes fois rêvé d’aller à la recherche de ses origines. Quand elle était prête, décidée, Raoul lui riait au nez. « Allez chez les sauvages , t’es folle ! » Aujourd’hui, à son âge, avec son arthrose, aller en Amazonie serait du suicide. Et puis, aller où ? Au Brésil ? Un pays si immense. En Guyane ? Dans la jungle ? C’est trop tard pour affronter les maladies tropicales, les serpents, les singles ou les mygales. De plus, elle ne parle pas la langue. Il n’était pas tendre Raoul, mais il avait bien voulu d’une femme à la peau brune. Caramel, juste caramel disait Jeanne avec malice, avant d’ajouter « Tout foncé qu’il était mon José, c’était un homme bon et travailleur avec ça » A la mort de Raoul tombé d’un échafaudage, Josée avait eu plusieurs propositions de remariage. Elle avait accepté la demande du notaire. Il était bel homme, avait l’air gentil. Mais la belle-mère avait fait échouer l’affaire, il est des mélanges qui, chez les notables, ne se font pas. Alors Josée avait décidée de rester seule. Les années passant, elle était consciente que bientôt elle quitterait cette terre. Oh, elle n’était pas pressée, le bon Dieu attendrait bien un peu. Il avait fort à faire, il pouvait la laisser profiter encore de la campagne, des villages tranquilles aux églises qui sonnent l’angélus. De temps en temps elle prend le car pour Verdun, y passe la journée, un cinéma, une patisserie au salon de thé, un peu de lèche-vitrines – elle est restée coquette- de quoi passer une bonne journée. Le reste du temps, elle fait de douces promenades le long des champs de colza, pour ancrer en elle cette image qu’elle veut emporter et offrir à son grand-père quand elle le rejoindra. Il devait lui aussi en aimer la douceur et la brillance, puisqu’il était resté.

Texte de Marie-Odile

Saint-Privat 2020

ORAL DE FRANCAIS

 

Antoine Legrand candidat 1037

Salle 18 15h15

« Bonjour monsieur Legrand. Vous avez quinze minutes pour parler du rôle du poison dans l'oeuvre de Flaubert en vous appuyant sur des exemples et en mettant en perspective vos connaissances sur la digestion et le décès de madame Bovary. »

 

Antoine regarde sa montre, reprend sa respiration et, d'une voix aigrelette, commence son exposé : «  en 1858, alors que Napoléon Bonaparte n'est plus qu'un souvenir pour les français et que le régime en place fait plus d'un mécontent, Flaubert envisage d'écrire une œuvre où l'on percevrait l'ennui vécu dans les campagnes reculées où le progrès des idées républicaines avance à pas lents malgré des bastions efficaces de propagation des idées nouvelles... »

 

Coup d'oeil sur la montre : dix minutes viennent de s'écouler ,

 

« Flaubert décrit le drame d'une jeune femme qui s'ennuie. Elle se marie . Elle redécore sa maison. Elle achète des robes , elle rêve d'une vie moins monotone. Elle devient mère avec dégoût Elle va au bal. Elle en revient mélancolique. »

 

Les aiguilles ont encore tourné.

 

« Emma, criblée de dettes , prend un amant, fuit à Rouen. Encore des dettes. L'usurier est menaçant, le pharmacien fait la morale, le mari fait des grosses gaffes. »

 

Ultime ligne droite, trente secondes .

 

« Arsenic sur l'étagère, agonie d'Emma, elle vomit,vomit,vomit. Charles pleure, pleure, pleure. C'est fini. »

 

« Monsieur Legrand, vos connaissances sont indéniables, mais la fin de votre exposé est un peu succincte. Il s'agit aujourd'hui d'un oral de français et non de l'envoi d'un SMS. A l'année prochaine ! »


 

Texte de Françoise

Vesseaux 2020

Imagine
Une forêt fraîche
L odeur de la Terre
L humidité fleurie
Sérénité....
Imagine
Les pieds dans l eau
Le goût du sable
Le piquant du soleil sur la peau
Merveille....
Imagine
La maison de famille
Rires
Joie
Amour....
Imagine
Les pensées positives
Recentrage
Empathie
Compréhension
Imagine....
 

Texte de Claire

Vesseaux 2020

Découpe à la Cour

27 mars 2017, palais de justice de Perpignan, salle des pas perdus qui claquent jusqu’au prétoire.

« La Cour ! ». Debout. Assis. Mouvement d’ensemble, fouillis sonore, silence.

 

Sur le banc des accusés, un couple joufflu délavé dépité.

 

Les termes de l’accusation s’énoncent :

« Vous avez attiré Hector Décor, 18 ans, 1,87 m, originaire de Vesseaux (Ardèche), en vacances à Argelès-sur-mer, dans votre chambre froide.

Vous l’avez séquestré 256 heures en le gavant toutes les 2 heures.

Entre ce qu’on ne peut nommer des repas, vous l’avez maintenu au chaud sous des édredons de poils de cochon.

Vous l’avez régulièrement pesé en glissant le crochet de la balance dans son nez.

Quand le quintal a été atteint, vous l’avez découpé en 67 morceaux.

Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »

 

« De père en fils, nous pratiquons la charcuterie à l’ancienne. »

Texte de Priscilla

Vesseaux 2020

Séléné

Elle était spectatrice de bien des vies et pourtant elle les rythmait.

Elle était changeante et parfois son visage éclairait l'obscurité.

Même si la mer se retirait de temps en temps pour lui rappeler sa présence. Même si des prières célestes l'accompagnaient parfois. C'est lorsqu'elle était pleine qu'elle se sentait le plus seule.

Quelquefois la nuit l'enveloppait tout entière d'une volupté froide mais elle rêvait d'étreintes et de la douceur d'une main chaude sur sa joue.

Texte de Serge

Vesseaux 2020
 

Lumière, lumière quand tu nous tiens.

Tu es là et je ne te vois pas.

Le noir n’est rien et pourtant il est là.

Attrape-moi si tu peux !, mais qui est là , le noir ou le blanc.

Forcement le blanc lumineux, puisqu’il brille là dans le noir.

Si je ne peux pas te voir, peut-être puis-je te sentir ?

Mais les couleurs n’ont pas d’odeurs… ?

Ou alors t’entendre ?

Mais la lumière n’a pas d’écho… ?

Te goûter ?

Mais tu n’as pas de parfum… ?

Obscure quand même cette lumière…

Ah ! j’y suis, il me reste les MOTS pour éclairer.

Texte de Nicole

Vesseaux - 2020

 

Il y a les mots

Les mots courages

Les jours d’orage

 

Il y a les voyelles

Elles sont belles

Parfois rebelles

Toujours éternelles

 

Il y a les consonnes

Pour toutes les personnes

Elles en disent des tonnes

 

Il y a les verbes

Pour les écrivains en herbe

Ils les offrent comme des gerbes

 

Il y a les noms

Les noms propres

Les noms d’oprobes

sous leurs belles robes

Il y a les mots

Les mots pour dire

Les mots pour rire

Les mots pour redire

Ce qu’il fallait dire

Avec le sourire

Au lieu des soupirs

 

Il y a les mots

Blessants, sanglants

Dévalorisants

Des mots peinants

Des enseignants

Souvent gnangnans

Surtout pédants

Ceux là, ils sont perdants !

 

Il y a les mots doux

Les mots froufrous

Ceux des doudous tout doux

Ceux qu’on glisse dans le cou

En implorant à genoux.

Texte de Ghyslaine

Vesseaux 2020
 

Il a ouvert la porte sans un bruit.

A sa grande surprise, Paul était au pays des rêves, avec sa paire de skis neufs dans les bras.

Ces skis, il les avait tellement souhaités, attendus ! Dévaler les pentes enneigées avec ses propres skis ! Alors le soir de Noel, lorsqu’il les avait découverts au pied du sapin, il était tellement heureux, qu il s’était couché et endormi avec ce cadeau inespéré, magnifique.

Paul ce soir là n’entendit pas son père ressortir de la chambre, revenir avec son Kodak pour fixer sur la pellicule, ce moment d’émotions, de rêve d’enfance.

Il ne se souvenait plus de cette photo, avant de la découvrir dans une boite laissée là au fond du tiroir de la commode, dans la chambre de son père qu il était en train de vider. Lorsqu il avait ouvert la boite c’est cette photo qu’il vit en prremier. Il la retourna – Noel 1951 mon ange- avait écrit son père avec son écriture appliquée, si reconnaissable. Quatre mots et en un éclair, une cascade d’émotions, de souvenirs de son enfance, des sensations, des images de sa jeunesse : les plaisirs des vacances à Morzine, les mains gelées par la barre des tire-fesses, les joues glacées par le vent et la vitesse, les descentes plus ou moins bien assurées. Son père qui le guidait, l’encourageait. Il revivait ses moments, ses joies, ses émotions. A neuf ans, on est dans le plaisir des montées, des descentes, des courses. On veut aller plus vite, doubler son père. On ne sait pas que l’important est ailleurs, dans la complicité, on nous guide, on nous encourage, on nous nourrit d’amour.

Aujourd’hui, Paul est seul avec sa vieille photo entre les mains, ses quatre mots, A travers ses larmes, le cœur serré, il murmure Merci !

Texte de Michèle

Vesseaux 2020

Jules

Il hocha la tête, l'air perdu avant d'ouvrir la bouche.

 

Juju pour les intimes à l'habitude il écoute écoute des heures durant essuyant les verres derrière son comptoir.

 

Ici c'est le refuge des paumés des hommes des femmes des touches à tout qui quoiqu'ils fassent échouent.

Bah leur dit Juju pour les réconforter «  la prochaine fois c'est la bonne »

 

Juju est un pilier du quartier tout le monde le connaît il faut dire que cela fait

30 ans que son café à pignon sur rue.

 

Son béret toujours visé sur la tête qui commence à se dégarnir avec les années qui passent lui donne un air de campagnard, de copain de chaque instant, mais aujourd'hui Juju est triste, le regard à perdu sa flamme.

 

Un salut Pierre alors ça va ta femme et le petit il grandit ; et toi fernand la pêche à été bonne.

 

Non le cœur n'y est plus,il est fatigué de les écouter,fatigué de faire semblant,fatigué d'astiquer ce comptoir ou tant de secret de non dits ont circulé.

 

Aujourd'hui Juju veut crier mais personne ne le voit ne l'écoute.

 

Pourtant ce soir il part.

Texte de Fausta

Vesseaux - 2020

 

Elle entre

Je vois, je comprends , je sais déjà

Elle pleure

Je me tais

Elle montre ses chairs meurtries

J'entends les coups qui pleuvent

Elle crie son désarroi

Je lui offre ma bienveillance

Elle hurle son inévitable culpabilité

Je ris jaune en m’écoutant lui répondre

Elle veut en finir avec la vie

J'y ai parfois pensé aussi

Elle prend son temps pour partir

Il était grand temps, j'ai failli lui montrer mes cuisses couvertes de bleus.

Texte d'Hélène

Vesseaux 2020
 

La rumeur 

Il est deux heures et demie du matin et les rues sont désertes. Dans le profond silence urbain des voitures garées, pas âme qui vive. Elle remonte cette large rue, si passante en journée, en croisant les devantures closes des boutiques et les volets fermés des appartements aux étages. Elle se demande si elle pourrait sonner quelque part pour obtenir de l’aide.

Il y a une légère brise ce soir. Les drapeaux ont été hissés pour la fête nationale et l’air fait cliqueter les fils métalliques contre les poteaux. Ce petit bruit, imperceptible en journée, trouble ses sens. Elle n’est pas sûre d’entendre les pas qui s’approcheraient derrière elle mais elle n’ose pas se retourner.

Ses talons résonnent contre l’asphalte. Elle le sait, elle en est convaincue, on entend ses pas des mètres à la ronde et on sait qu’une femme, en talons, marche, seule. Si elle avait su qu’elle rentrerait si tard, elle aurait surement choisi des ballerines pour traverser la ville incognito.

Elle sent son cœur palpiter plus vite tandis qu’elle accélère le pas. Une demi-heure plus tôt, c’est le cœur d’un autre qui résonnait dans son oreille. La tête posée sur son torse, elle se disait « C’est par moi qu’il bat comme ça. Ce sont mes gestes qui lui font cet effet-là. ».

Avançant d’un pas vif, dans une foulée retenue qu’elle refuse de laisser s’emporter, elle tente de calmer l’angoisse qui monte. Elle envoie son esprit s’évader en Bretagne. Quelques jours auparavant, elle était à la pointe du Raz où, ayant grimpé sur la rambarde, elle se tenait debout dans les bourrasques folles du vent marin.

Vivante, frissonnante, vibrante, toute-puissante dans les éléments déchaînés, comment une femme peut-elle se sentir si fragile et menacée par ses talons qui résonnent sur le bitume ?

Texte d'Evelyne

Vesseaux - 2020

 

Le chêne est solide, se tient fier et droit

La branche est solide, elle ne rompra pas

La corde est courte, nœud coulant.

Sa jupe légère, ses pieds nus, son cou gracile,

Elle est le roseau si fragile, trop fragile,

Assoiffée, asséchée.

Elle ne veut plus danser, elle ne peut plus chanter, elle n’en peut plus d’aimer.

Personne pour la voir, pour l’entendre, pour l’aider

Seule avec ses mots et ses maux qui la rongent

Les feuilles agitent ses cheveux d’or sur sa nuque

Le chanvre frotte son cou si docile

La corde se tend brusquement

Un corps qui s’agite, balance doucement

Se fige le temps.

Texte de Laura

Vesseaux - 2020

 

Parfois j’ai des petites idées,

Minuscules,

Embryonnaires

 

Certaines de mes idées sont futiles et décalées

 

Quelques fois, j’ai une idée

Grandiose, vitale, essentielle

 

Une idée qui me paralyse et m’effraie

 

J’aimerais en tirer la graine

Et la planter

 

Ainsi, on pourrait regarder mon idée – qui ne serait plus tout à fait la mienne – germer.

 

On pourrait se l’approprier, l’arroser, la regarder pousser

On pourrait l’aimer, la protéger

 

On pourrait aussi vouloir l’éradiquer : GERMINICIDE !

 

L’idée végétale, qu’elle vous séduire ou vous déplaise, existerait

Déracinée de son jardinier originel.

Texte de Victor

Vesseaux 2020

Station TOTAL

 

Alberto à une forte envie de pisser. Il s’engage sur l’aire d’autoroute 46 direction Lille.

Il conduit un IVECO XF 20.

Celui d’à côté à un Renault Truck 660. Il déteste les conducteurs de Renault Trucks.

« Toujours les premiers dans les aires de nuit. Ils salopent les toilettes en 2, 2 et ne disent pas merci quand on leur laisse la priorité. Pas l’esprit Routier quoi.

Bon, j’arrête ces simagrées. Je pisse et je file vit’fait. J’ai pas encore fait mes heures.

Je vais rouler jusqu’à Dijon et je m’arrêterai pioncer au « Paradis des routiers » si Zouzou et les autres sont là. »

Les autoroutes, je connais ça. Toujours la même ambiance, des gosses qui crient, des commerciaux bas de gammes, des gens qui s’inventent une vie…

Je m’arrête jamais ici, ici c’est pour les touristes.

Pff ohlala le monde ! Vraiment pour les touristes. Même les toilettes sont remplies de vacanciers venus détendre leur vessie.

...

Je pisse, je pisse ça s’arrête plus !

Attention, toujours la dernière goutte. Faut pas l’oublier cella là, sinon t’as l’air con quand tu sors de la pissotière.

T’sais c’est qui ce mec qui me regarde là, il veut comparer nos engins celui-là ?

C’est pas comme si tous les urinoirs étaient dispo…

….

Putain, il n’est pas gêné ce type ! Matter ma teub comme ça !

Bahh, ça me ferait pas un peu plaisir quand même.

Je vais tourner la tête pour voir quelle gueule il a.

1, 2, 3… ah wé, ca va ! Ca passe.

Wé ce mec est pas mal. Tss, il file aux chiottes. Stp, il ferme pas la porte.

Allé, une pipe chez Total n’a jamais fait de mal à personne !

Texte de Martine

Vesseaux 2020

Mort pour la France

Vert de nuit vert de gris qu’importe la couleur.

Du bleu de ma capote, il ne me reste qu’un vague souvenir aussi vague que ton sourire lorsque le train s’est ébranlé.

Du rouge j’en ai plein la tête : Le rouge des obus, des bombes, du sang qui jaillit, explose, ruisselle et enfin croupit dans les tranchées. Grosses croûtes répugnantes, malodorantes, putrides.

Toujours la même musique dans la tête.

Vas-y fonce, n’hésite pas, court, court, saute, saute, tire, tire.

Droit devant. C’est ton sore, sale sore. T’as pas le choix… A la vie à la mort.

Ce soir terré tout contre mes camarades de tranchée, le cul dans la boue, les bottes remplies de flotte je regarderai l’eau des flaques fumer et tout recouvrir de brume, d’opacité .

Je sommeillerai…. Peut-être,

A moins que la mort ne me surprenne. La faucheuse m’emportera. Fini la merde et cette foutue guerre. Terminé le cauchemar….

On foutra mes papiers dans un carton en papier mâché qu’on emportera avec ma plaque et mon matricule à ma mère.

Mon fantôme viendra hanter à jamais ses nuits d’insomnie.

Elle ira sur la plage du bord de mer où j’ai tant et tant bâti de châteaux, inlassablement remplit mon seau pour le déverser en riant et le détruire …

De plaisance et mortadelle je ne retiens que plaie et mort et de Télettes personne n’en recevra plus.

Texte de Solange

Vesseaux 2020
 

Elle marche en tenant sa fille par la main. Petite pépite blonde de huit ans. Beauté gracile. Esprit vif. Irrésistible ! On devrait pouvoir rendre les enfants quand ils vous font à ce point de l’ombre. Les échanger contre des plus fades, des plus moches, des idiots. Ou alors même…

Elles arpentent les allées de la fête foraine. Boucle d'or a insisté. Boucle d’or est ravie. Elle veut monter sur le grand huit. Bonne idée ! Allons-y !

Parfois on s'y retrouve la tête en bas, c'est grisant. Parfois, la rambarde de sécurité présente des dysfonctionnements et s’ouvre. Parfois des corps tombent, s’écrabouillent. Parfois certains meurent. Les os des enfants sont plus fragiles que ceux des adultes.

Texte de Sylvie

Vesseaux 2020

Tranche de vie

 

Un après-midi d’été, sur la terrasse, Alice, la mère, et Léa, la fille, se retrouvent.

Alice a ses yeux tristes, Léa, ses yeux cernés. Alice prend le pichet et sert l’orangeade fraîche. Des verres à moitié vides. Léa demande plus. Alice s’excuse, elle reprend le pichet et remplit les verres, gênée. Léa sourit. Elles boivent à petites gorgées, intimidées.

Un oiseau chante puis s’envole, les nuages s’installent dans le ciel. Léa s’ennuie puis s’en va.

Fin d’après-midi d’été, la terrasse, sur la table, deux verres d’orangeade, pas terminés. Des verres à moitié pleins.

Texte d'Estelle

Vesseaux 2020
 

Sourire…

 

Et toi petite fille, si mignonne, si vive, si innocente sous ton parapluie, que deviendras-tu dans dix ans, vingt ans, trente ans? 
J’essaie d’imaginer ton nom et je ne vois que ton sourire et tes yeux qui pétillent. Une petite boule de joie sur pattes, un petit ange rieur qui pourrait me prendre la main.
Bientôt, tu auras ta première rentrée. Elle ne sera pas comme toutes les autres. Papa et Maman ne pourront pas t’accompagner jusqu’à ta classe. Et peut-être que bientôt, on cachera ton beau sourire derrière un masque. Pas un masque de carnaval, non. Ni un masque qui grimace. Non. Un masque tout blanc, tout con, tout vide. 
Alors peut-être qu’avec le temps, petite fille, tu perdras ton beau sourire. A quoi ça sert un sourire, si personne ne le voit? 
Tu apprendras à sourire avec les yeux. C’est joli, oui, de sourire avec les yeux. Tes yeux pétillants deviendront, qui sait, doublement expressifs et ils sauront dire tout ce que les commissures de tes lèvres disaient avant. 
Peut-être même que tes cheveux commenceront à parler. Tes couettes apprendront à remonter dans l’air quand tu es heureuse et peut-être même qu’elles danseront et s’enlaceront de temps en temps.
Je souris encore en te regardant petite fille, mais qu’est-ce que j’ai peur dans le fond de mon bide. J’essaie d’imaginer ta bouche cachée derrière un masque et je me demande si tu rirais autant sous ton parapluie.
Alors, je rêve que tu puisses déserter les grandes villes et vivre dans un paradis perdu. Tu pourrais te laisser emporter dans une longue rivière bleu-turquoise encerclée de roches lumineuses et d’arbres multicolores merveilleux. Tu rirais, nagerais, danserais et y rencontrerais tous les enfants qui, comme toi, seraient venus danser, nager, rire. 
Dans cette joyeuse farandole, vous entraîneriez toutes les grandes personnes qui ont perdu en chemin la souplesse de la danse, la légèreté de la nage, la transcendance du rire... 
Petite fille, je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais ce que je souhaite par dessus tout, c est que jamais tu ne perdes ton si, si, si joli sourire...

Texte de Stéphanie

Vesseaux - 2020

 

L’aventure d’un cheminement éclair, ça pourrait être : 

 Un rêve solaire de retour au récif

 

Un but sectaire de se taire

L’objectif d’une infini pureté

Un voyage de rêve blanc

Satisfaire une colère brise-glace

Trouver l’endurance d’un bi-polaire

Parfaire un récit qui parle de laideur

Se perdre sous une aurore boréale

Errer dans un igloo emmitouflée dans des vêtements chauds

Puis monter dans un bateau, se laisser dériver vers le sud et partir passer le nouvel an sur un iceberg avec toi

Se plaire, se taire, écouter le silence, boire du vin chaud sous un plaid sans imaginer de retour

Et enfin rencontrer sur la banquise un ours polaire solaire qui nous expliquerait le mystère de la solitude des étoiles

Texte de Marie-Christine

Saint-Privat     2020
 

BLANCA

 

Antonio, sous le soleil éclatant d’Andalousie, somnolait sur le dos de sa mule qui le berçait de son pas nonchalant. Elle connaissait bien le chemin. Antonio confiant, s’abandonnait de plus en plus, jusqu’à laisser filer la bride et déposer délicatement son front sur l’encolure humide de Blanca. Ses idées vagabondaient au rythme de ce lent chaloupé. Ce soir il se raserait de près, déposerait délicatement derrière ses oreilles quelques gouttes de parfum musqué, gominerait son épaisse chevelure noire et irait voir Dolores. Un sourire béat entrouvrait peu à peu ses lèvres. Il était bien. Ce soir c’est sûr il fera sa demande.

Soudain, Blanca s’arrête, recule, secoue la tête. Antonio se redresse, frotte ses yeux, ne voit rien, ne reconnait rien. Seul un léger sifflement l’alerte. Pas normal ce bruit, une vipère ? Les oreilles aux aguets, Blanca se cabre et comme une flèche se dirige droit, tout droit. La poussière gicle sous ses sabots, Blanca file. Malmené, ballotté, Antonio s’accroche, hurle, tente de l’arrêter.

Indifférente, Blanca continue. Le bruit des sabots sur le chemin pierreux résonne dans la tête d’Antonio. Dieu ! Pas de Dolores ce soir. Les épineux lardent ses cuisses de zébrures ensanglantées, ses mains crispées sur les rênes, lèvres pincées, souffle coupé, il s’accroche.

Finir ainsi non ! Là, à droite le ravin. Blanca, tête folle, écume au bord des naseaux, yeux exorbités file. Antonio serre les cuisses, se penche sur l’encolure pour tenter de la calmer. Rien, têtue la mule ! C’est sûr, il va lâcher. Soudain, Blanca pile et dans un fabuleux vol plané, Antonio se retrouve à terre devant ses pattes fébriles.

Rouge, tout rouge. La figure, les cuisses, les mains, tout le brûle. Peu à peu, il reprend son souffle pendant que Blanca, impassible et calmée, déguste quelques figues juteuses directement gobées du figuier odorant.

Non, ce soir Antonio n’ira pas voir Dolores. Il est lui-même douleur de la tête au pied.

Maudite mule.

Texte de Maylis

Saint-Privat 2020

Elle n’aurait pas dû venir. Appuyée contre le tronc du grand frêne, à l’écart des lumières de la place du village, elle presse sa paume sur l’écorce rugueuse, espérant du réconfort. Son cœur bat dans sa poitrine au rythme des basses de la musique crachée par des enceintes fatiguées aux quatre coins du chapiteau. Les lumières vulgaires, rouges, bleues, reflétées dans la boule à facette, l’exaspèrent, comme cette buvette dressée sur la droite sur de tréteaux vacillants sous les coudes des buveurs de blanc limé.

Elle n’aurait pas dû venir. Elle contemple le chapiteau bondé de danseurs endiablés, la toile blanche fixée à chaque poteau comme le rideau d’un théâtre, sous les guirlandes de lampions multicolores. Son regard se fixe sur sa sœur, robe blanche virevoltante, ongles et paupières peints, les joues rouges de tourner aux bras de ces beaux garçons musclés, ses jambes fines dans ses pieds-nus délicatement lacés.

Elle n’aurait pas dû venir. Elle devine aux alentours les ruelles de pierre sombres, fraîches, dans lesquelles doivent se cacher des amours naissantes au décours d’une danse.

Elle n’aurait pas dû venir. Elle est seule, dans l’ombre de son arbre. Ses pieds lui font mal dans ces chaussures trop serrées, elle se sent mal fagotée dans cette robe prêtée. Des larmes lui chatouillent les paupières. La fumée des saucisses sur le grill du barbecue prêt de la buvette ? Non, la tristesse de cette solitude mal supportée.

Une main se pose sur son épaule. « Tu veux danser ? »

Texte de Edith

Saint Privat - 2020

 

Il est 5h05, Pierre ne dort pas,

Encore une nuit sans sommeil, encore une nuit blanche comme on les appelle. C’est drôle d’utiliser cette couleur, le noir où le gris serait plus approprié se dit il en revenant sur ces pensées entêtantes qui l’avait tenu éveillé.

Face à lui même, dans ce miroir déformant et sans pitié du petit matin, il essayait vainement de comprendre ce qui l’avait emmené à ce moment de son existence.

Ça ne pouvait plus durer, tout cela devait s’arrêter, continuer dans cette course effrénée n’était plus la voie, il le savait.

Qu’avait il fait de sa vie ?

Un jour il était parti, en quête d’un je ne sais quoi, du bonheur sans doute en se disant pourquoi pas moi ?

Il avait fuit, fuit la ville, fuit la famille, il avait fuit les conventions, le monde et les obligations. Un tour du monde en voilier, larguer les amarres, partir, partir loin.

Bouger, voyager, découvrir le monde, les rares amis qui lui restait l’appelaient le « globe trotter ». Cette soif de liberté, son couple en avait fait les frais. Très tôt il s’y était senti à l’étroit, très tôt, il s’était senti étouffer. Il n’avait pas vu grandir ses 2 filles. C’était bien là son seul regret.

Puis un retour à la terre, un besoin d’essentiel, surtout s’éloigner du superficiel.

Se perdre pour mieux se retrouver, à 54 ans, il ne s’était toujours pas trouvé. Le sentiment de s’être perdu en route le hantait depuis déjà plusieurs nuits.

Qu’avait il fait de sa vie ?

Il ne s’était toujours pas posé. Aucun engagement, comme s’il portait en lui un interdit, l’interdit d’aimer, interdit de se laisser aimer. Interdit de se laisser aller.

Alors partir à chaque fois et tout recommencer, au nom de quoi, pour quoi bon sang, pour quoi ?

Toujours tout détruire, avant même de toucher au but, mais quel était le but ?

Toujours tout reconstruire, il avait pourtant de l’or dans ses mains, tout le monde le lui disait.

Combien de fois allait il devoir encore recommencer ?

Combien de temps subir cette loi intérieure, empêchant tout bonheur ? 

Texte de Florence

Vesseaux -   2020
 

Lassé, fatigué, rincé qu’il était ce grand mur blanc. Depuis tout le temps qu’il occupait cet appartement, il en avait vu de toutes les couleurs. Sa place était essentielle et sa condition prédestinée. Mais être porteur ne veut pas dire que l’on peut tout supporter. Les clous mal plantés, les étagères trop chargées, les coups d’aspirateur réguliers, sans parler de cette photo de taxi new-yorkais qu’on lui imposait, comme à ses faux frères de ces magasins industrialisés. Mais tout cela n’était rien face à l’été dernier: le divorce d’Antoine et Chloé. Qu’est-ce qu’il en avait pris à ce moment-là ! Les assiettes, les bouquins, les souvenirs de vacances, tout y était passé. Tout s’était sur lui fracassé. Ça en faisait des plaies.. Mais le plus douloureux restait à ne pas douter les mots prononcés: les reproches, les insultes, les regrets, les « de toutes façons je ne t’ai jamais aimé ! ». On le sait pourtant que les murs ont des oreilles. Mais tout le monde s’en fiche de savoir ce qu’il doit en silence endurer. Il n’en pouvait plus. Il était là depuis les années 40. Il avait pourtant cru pouvoir tenir, mais aujourd’hui il n’avait plus la force de se battre. Il n’avait plus le choix. Il ferait ça petit à petit, lentement, subtilement, tout en restant discret. Aujourd’hui c’était décidé, il allait commencer à se fissurer…

Texte de Catherine

Mas de la Nojarette 2021