© Chris-Anne
LOIN DE VOUS, JE NOUS SEME
Se mettre à nu
Déposer l’armure
Laisser faire la mue
Parce que rien ne dure
Je suis éphémère
Je suis tout et son contraire
Je suis moi et toi
Toi et moi
Tu me manques
La métamorphose isole
Et cette solitude m’effraie
Un peu de nous partout
Difficile de faire sans
De faire seul
Le temps recroquevillé
Semble bien long, vicié
Il faut cependant continuer
Mes aimants, je vous aime
Loin de vous, je nous sème
Des jours fous et des rires heureux
Loin de la peur diluvienne
De la fièvre, de la peine
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Se mettre à nu
Déposer l’armure
Laisser faire la mue
Parce que rien ne dure
J’ai regardé ce qu’il y avait sous ma peau
J’ai retrouvé des bouts de moi égarés
J’ai écouté le cœur de mon cœur, plus près
J’ai rencontré ses mélos, ses échos
J’ai écrit sous la lune
Et dormi sous le soleil
J’ai rêvé des cauchemars
Et cauchemardé des rêves
J’ai cru à la lumière de la nuit
Bien plus belle que celle de midi
J’ai déchiré mes habits noirs bitume
Trop de deuil, trop d’amertume
J’ai bu un peu de mon sang
Celui qui palpite en dedans
J’ai gravé dans son encre vermeil
Des mots dits, sans sommeil
J’ai délivré mes pensées en vrac
Pour me sauver de l’insomnie, opaque
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Se mettre à nu
Déposer l’armure
Laisser faire la mue
Parce que rien ne dure
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© Diane Peylin
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C'EST UNE HISTOIRE DE FAMILLE
C’est une histoire de famille
Dedans il y a des gens qui ont le même sang
Dedans il y a des parents et des enfants
Dedans il y a l’indicible
C’est une histoire de famille
Avec un accouchement, des babillements et des bavoirs
Avec une table en formica pour les repas
Un réfrigérateur rempli de petits-suisses
Un canapé marron dans le salon
Des jeux de société dans le meuble près de la télévision
Des chambres pour les enfants et les parents
Pas la même
Chambre
Et pourtant
C’est une histoire de famille
Qu’on ne sait pas comment dire
Écrire
Tant les mots, même les plus effroyables,
Ne suffisent pas à qualifier
L’innommable
C’est une histoire de famille
Où les veilleurs sont des violeurs
Où les grands percent de leurs sexes,
De leurs doigts,
De leurs dents,
La chair de leur chair
Où les grands salissent les yeux,
Enclument les cœurs
Ensevelissent les rêves
De leurs propres enfants
C’est une histoire de famille
Commune et sordide
Banale et odieuse
Ordinaire et atroce
Fréquente et immonde
C’est une histoire de famille
C’est une histoire
De lâcheté
De perversion
De honte
De culpabilité
De déviances
De mensonges
De silences
© Benjamin Lacombe
C’est une histoire de famille
Avec des larmes quand vient la nuit
Des portes qui grincent dans le noir
Des ombres aux voix carnassières
Des coussins sur le visage
Des petits poings serrés
Du sperme sur les chemises de nuit brodées
Des entailles sur les lèvres enfantines
Du sang dans les culottes fleuries
Des sourires saccagés
Des matins meurtris
C’est une histoire de famille
C’est une histoire d’inceste
C’est l’histoire de ce mot
Qu’il faut nommer
Répéter
Pour que l’omerta soit levée
Pour que plus jamais il ne sévisse
Pour qu’à force de le répéter
On l’abolisse
Pour qu’à force de le répéter
Il cesse
Trépasse
Disparaisse
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© Diane Peylin​​​